Amphithéâtre Maurice Halbwachs, Site Marcelin Berthelot
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« S’il est dans notre nature même de produire de l’avenir, le système est agencé de façon telle que nos prévisions doivent rester incertaines. »
François Jacob, Le Jeu des possibles, 1981, p. 130 [tu n’es pas, tu deviens].

Le jeu

C’est par un chapitre sur « le devenir » que Jean Wahl partait dans son « voyage à travers les concepts philosophiques », argumentant que « la réaction contre la pensée du devenir… explique en grande partie tout le développement de la métaphysique en occident après Héraclite » (Traité de métaphysique, 1953, p. 33). Sans nier le devenir, resté au fond du tableau, les philosophes occidentaux ont cherché à repérer dans le monde ce qui est stable et régulier, admettant que pour qu’il y ait science, il faut pouvoir observer et généraliser, sans que les objets qu’on étudie se dérobent à l’examen : « nous prenons connaissance de toute chose en tant qu’elle est une et la même et qu’elle a quelque chose d’universel » (Aristote, Métaphysique B, 999 a, 29). Ce faisant, les philosophes ont parfois oublié de reconnaître que le monde héraclitéen d’arrière-plan, tout instable et versatile qu’il soit, offre à l’action humaine une marge de liberté, et des occasions créatrices, qui laissent aux habitants du monde la possibilité et la responsabilité de le façonner à leur manière – sauf que, si le devenir exclut toute forme de permanence, il va détruire à mesure ce qu’on s’est essayé à construire…

Aussi, note encore Wahl (ibid., p. 49), « au milieu de ce devenir incessant du monde, il y a des productions de ce devenir… » (œuvres d’art, êtres vivants) qui résistent au devenir ! Les philosophes du devenir que nous avons évoqués (Bergson, Whitehead, Simondon) se sont, de fait, arrangés pour introduire dans leur univers en devenir une dose de permanence. Ainsi, Bergson, tout en s’émerveillant de la fluidité de nos états mentaux, évoque « la solidification dans notre mémoire » de certaines sensations, impressions, idées (Essai…, 1889, p. 127) ; et les êtres vivants, selon lui, gardent présent en eux le souvenir de leur passé. « Comme, pour créer l’avenir, il faut en préparer quelque chose dans le présent, comme la préparation de ce qui sera ne peut se faire que par l’utilisation de ce qui a été, la vie s’emploie dès le début à conserver le passé et à anticiper sur l’avenir dans une durée où passé, présent et avenir empiètent l’un sur l’autre et forment une continuité indivisée : cette mémoire et cette anticipation sont, comme nous l’avons vu, la conscience même » (Bergson, Conf. Huxley, 1911, Œuvres, p. 824).