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Un exemple local permet d’introduire ce thème global : deux personnes, un francophone et un néerlandophone, se rencontrent sur un trottoir à Bruxelles. Le francophone maîtrisant approximativement le néerlandais, la conversation s’engage, une fois n’est pas coutume, dans cette langue et le Flamand, reconnaissant mais décidément plus bilingue que son interlocuteur, le remercie et propose de poursuivre en français. Le bilinguisme de l’un se renforce tandis que le bilinguisme de l’autre régresse. Réitérée, cette situation, banale dans un contexte multilingue, crée les conditions par lesquelles l’usage d’une langue devient irrésistiblement dominant. La politesse du néerlandophone cède alors le pas devant le sentiment d’une injustice croissante, « comme si toujours les mêmes devaient céder leur place sur le trottoir ». L’Europe et le monde voient cette situation se jouer au profit de l’anglais.

La « justice linguistique », comme tout autre domaine où « cela a du sens de réfléchir ensemble à ce qui pourrait constituer un arrangement juste », met en jeu la sociabilité des hommes, l’harmonie de leurs interactions et, aussi, la profitabilité de leurs échanges. Les inégalités de fait, au contraire, révèlent un défaut de participation ou une privation d’opportunités. Pour cette raison, l’objet d’une théorie de la justice consiste à rechercher « la maximisation soutenable des possibilités ouvertes à celles et ceux qui en ont le moins, ou le maximin soutenable de liberté réelle [1] ». Durant la conférence, Philippe Van Parijs a exposé les cadres de sa théorie de la justice : toute conception « plausible » d’une société juste doit être à la fois libérale et égalitaire, c’est-à-dire consacrer un égal respect pour les conceptions de la vie bonne dans un égal souci des intérêts de chacun. Par conséquent, toute inégalité doit être justifiée sous deux principes et deux contraintes : les principes sont ceux de responsabilité individuelle (garantir l’égalité des chances) et d’efficacité (« le maximin soutenable de liberté ») ; les contraintes sont celles d’un respect égal de la liberté et de la dignité de chacun.

Références

[1] Cf. P. Van Parijs, « Philosophie de la fiscalité pour le troisième millénaire », in T. Berns et alii, ss. dir., Philosophie de l’impôt, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 227-240.