Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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L’année 1966 est-elle dans la réception de Proust une année comme les autres ou bien une année bascule ? Après le purgatoire des années 1930 et 1940, où Mauriac, Malraux, Céline, Aragon et Sartre ont occupé la scène littéraire, Proust sort de l’ombre dans les années 1950. Jean Santeuil puis le Contre Sainte Beuve, jusqu’à alors inédits, sont publiés en 1952 et 1954 par Bernard de Fallois et la première Pléiade procurée par Pierre Clarac et André Ferré paraît en 1954. Proust sort peu à peu du ghetto et de la secte, n’est plus associé à la coterie homosexuelle, aristocrate et juive. Les modernes s’en emparent : Bataille et Blanchot, puis Robbe-Grillet, Sarraute et Butor. Les nouveaux romanciers placent Proust au sein d’une nouvelle triade, qui lui associe Joyce et Kafka. Ce sont là les prémisses d’une longue marche vers le consensus. En 1955, se tient à Londres une exposition « Proust and his time. 1871-1922 », où l’écrivain est encore présenté sous un jour glacé et hiératique. Le premier tournant intervient avec le remarquable « Portrait-Souvenir » diffusé le 11 janvier 1962 pour célébrer le quarantième anniversaire de sa mort.

1966 marque les dernières heures d’un modèle de télévision de haute culture (« Lectures pour tous » 1953-1968, « Cinq colonnes à la une »,1959-1968, « Plaisirs de la lecture », « En français dans le texte », « Portrait-Souvenir » 1960-1964). La radio et la télévision sont encore à cette époque un repaire d’anciens résistants, jeunes hommes pour qui la Résistance avait fait office d’université : c’est le cas de Gérard Herzog, le réalisateur de « Portrait-souvenir », et de Roger Stéphane, l’interviewer.

On trouve dans cette émission des entretiens avec Daniel Halévy, le duc de Gramont, la comtesse Greffulhe, puis les témoins des dernières années : Mauriac, Morand, Jacques de Lacretelle, Cocteau, Emmanuel Berl, Philippe Soupault, Mme Paul Morand, Mme André Mauroix, et Céleste Albaret. Ce documentaire est aussi tourné vers la modernité de Proust : il y est fait allusion à Robbe-Grillet et Butor, et l’on voit des manuscrits.

Mais la vraie révolution vient de Céleste, qui évacue le boulevard Saint-Germain et devient le médiateur de Proust. C’est une inversion entre le haut et le bas, rendant Proust plus démocrate, plus populiste et plus adapté à la société de masse ; on peut désormais entrer chez Proust par l’escalier de service. Le romancier se trouve désormais à l’entre-deux de ces chemins, de la culture de masse et de la coterie.