Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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Le troisième trait de l’inachèvement de l’œuvre est la terminaison du volume qui restait longtemps incertaine et que Proust modifia encore à la fin de l’été de 1913 en raison de la taille excessive du manuscrit. Nous y revenons à la dernière séance.

Il faut relire les premières pages de « Combray » en se remettant dans l’esprit des premiers lecteurs, dont la stupéfaction était légitime, et en prenant au sérieux le mot de Jacques Madeleine : « le seul moyen, difficile, de donner une idée de l’œuvre, c’est de suivre l’auteur pas à pas, à tâtons comme un aveugle que l’on est. » Déroutante longtemps, avant que l’on s’y reconnaisse, l’entrée du livre thématise précisément, comme l’explique Proust lui-même à René Blum (Corr., XII, 296), la question de l’égarement et de la reconnaissance.

On entre dans le roman par une expérience hallucinatoire : « j’étais moi-même ce dont parlait l’ouvrage » ; « le sujet du livre se détachait de moi » (RTP, I, 3). Il y avait donc une confusion totale avec le sujet du livre. Ce défaut de subjectivité dans l’hallucination est à prendre à la lettre, sans réduire son étrangeté comme l’ont fait la plupart des lecteurs. On se souviendra que lors de l’écoute de la sonate dans « Un amour de Swann », il est question de l’« aliénation mentale » de Vinteuil, semblable à la « folie d’une chienne » et à celle « d’un cheval » (RTP, I, 211 ; cf. Carnet 2, fo 19 ro [printemps 1913]).

Absent de la dactylographie envoyée par Proust à Grasset en février 1913, le passage hallucinatoire de la première page de « Combray » est apparu dans la marge de l’autre dactylographie. À ce stade, l’objet d’identification est plus étrange : « il me semblait que j’étais moi-même la date de ces sculptures ». On peut penser que l’écrivain a eu l’idée de cette hallucination en mars 1913 et qu’elle a été reportée dans les placards au début d’avril.

Dans les placards BnF, le narrateur se compare à « l’école régionale d’architecture » et au « style de l’école régionale d’architecture ». Manquent dans cette version, l’église, le quatuor et la rivalité de François Ier et de Charles Quint, lesquels n’apparaissent qu’à l’étape suivante, sur les placards Bodmer que Proust envoya à l’imprimeur. Il a donc hésité longtemps sur l’objet de l’hallucination du héros.