Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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Nous abordons la question de la famille de Combray. Est-elle paternelle ou maternelle ? Comment se repérer ? Le lecteur ingénu est confronté à cette question de reconnaissance. D’autre part, celle-ci est inséparable de la constitution du couple antithétique du père et de la grand-mère. Posée au départ du roman, cette polarité est aussi structurante que les deux « côtés ». L’examen du rapport de parenté à Combray nous permettra enfin de réfléchir à la nature du réalisme de l’œuvre.

La première mention de la famille nous indique que l’on est « chez [le] grand- père » du narrateur (RTP, I, 6). Le deuxième indice la contredit en présentant la cuisinière comme celle « de [l]a tante » (RTP, I, 28). Selon la troisième explication, on est « chez la cousine d[u] grand-père » (RTP, I, 48). Une telle contradiction donne à s’interroger sur le degré de confiance que l’on peut avoir dans le récit.

Peu après la première mention, le narrateur présente l’essentiel de sa famille : le père, la mère, la grand-mère (RTP, I, 10-11), à qui s’ajouteront la grand-tante, les sœurs de la grand-mère, la tante Léonie et l’oncle Adolphe. Ce passage remonte au Cahier 8 de 1909, où l’on trouve une allusion au frère du héros. Dans le cahier suivant que Proust a dicté, la présence du père devient un peu fragile. Ce n’est qu’à l’étape des placards Bodmer que ce dernier est caractérisé et ridiculisé par la manie barométrique. L’opposition entre le père et la grand-mère a été donc tardivement installée.

Question simple et naïve : de qui la grand-mère est-elle la mère ? De la mère ou du père ? Cela n’est pas dit et il sera durablement difficile de le savoir. À Combray, les indices sont mobiles et contradictoires (RTP, I, 11, 22, 71-76, 110, 142). Si le côté maternel et le côté paternel sont confondus de manière à ne jamais nous permettre de savoir exactement où nous sommes, c’est parce que Proust mêle les souvenirs d’Auteuil et les souvenirs d’Illiers. Cela explique la présence fantomatique de l’oncle maternel, qui peut rappeler Louis Weil, jusqu’au moment où il est transposé en grande partie dans la grand-tante, et dans le père pour les promenades. Ce serait cette donnée qui rend le texte incohérent jusqu’au bout.

Notons enfin que le père et la grand-mère, que tout oppose, s’entendent exceptionnellement au sujet de Bloch (RTP, I, 91). L’aversion pour ce personnage est le lieu de consensus, et cela avant que la question du judaïsme soit abordée dans le récit.

Le père s’introduit peu à peu dans le texte et sans que jamais nous sachions bien quels sont les rapports de parenté à Combray. La solution définitive de notre question peut être trouvée dans « Un amour de Swann » où nous lisons : « comme mon grand-père qui, l’année précédente, avait invité [Swann] au mariage de ma mère » (RTP, I, 305). Dès lors, nous sommes fixés. On pourrait conclure au réalisme particulier de Proust. Les rapports de parenté n’étant pas toujours pertinents, la confusion règne jusqu’au dernier moment. Il y a une sorte de rémanence des versions anciennes, comme la cicatrice du frère effacé et la trace de la maison qui a été celle de l’oncle avant d’être celle de la tante. La remontée de ces textes antérieurs rend le texte définitif flou et hybride. Reste que la polarité du père et de la grand-mère s’est peu à peu structurée alors que le père est un personnage assez tardif dans la constitution de Combray.