Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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Au XIXe siècle, Lamartine fut identifié au cygne ainsi qu’à son chant. Après son échec politique contre Louis-Napoléon Bonaparte, le poète connut une longue et triste vieillesse, sorte de chant du cygne qui dura 20 ans. Dans L’Abdication du poète, Maurice Barrès plaint le poète qui, après avoir perdu le pouvoir, proféra son long chant du cygne. Selon Barrès, la fin du poète donne à voir sa vérité, son mystère. Lamartine apparaît comme un cygne banni, et Barrès décline ici son traditionalisme, que l’on observe aussi chez lui dans l’affection pour l’image du vieux chêne ou du vieux chien.

Le clair génie de Lamartine est devenu un astre noir, mélancolique. Après l’échec politique, son chant est celui du cygne égorgé ; possédant la tête et les yeux de l’aigle mais aussi l’encolure du cygne, il combine selon Barrès les deux oiseaux symboliques. Le poème « Au Comte d’Orsay » est dédié à celui qui a réalisé son buste ; en le voyant, Lamartine tombe dans la mélancolie, car bientôt, ni le buste ni le nom du poète ne diront plus rien à personne. On sait aussi, d’après un récit, que Lamartine vit dans son poème un sublime « va-te-faire foutre » lancé au peuple. L’insulte relève encore du sublime sénile, et c’est une fois de plus l’éloge du poète par lui-même : son chant du cygne.

Le cygne apparaît aussi chez Baudelaire, Mallarmé, Proust, ainsi que chez Roland Barthes, dont « l’aile du non-écrire » évoque « le vent de l’aile de l’imbécillité » baudelairien. Les cygnes sont silencieux, mais leurs ailes bruissent. Dans la pièce de théâtre Le Chant du cygne, le jeune Tchekhov met en scène un vieil acteur, qui donne à entendre son chant du cygne, à savoir son dernier spectacle. Le personnage s’est endormi ivre dans sa loge après un gala en son honneur ; en pleine nuit, seul dans le théâtre fermé, il tombe sur son souffleur et se remémore ses succès avant qu’il ne soit devenu un bouffon : c’est presque le Beckett de Fin de partie, dont le chant du cygne est autant individuel que collectif, car il marque la fin d’une époque et d’une civilisation.