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En 1914, Albert Einstein avait été invité à donner les conférences Michonis organisées à partir de 1905 grâce au mécène Georges Michonis afin que des savants étrangers fussent régulièrement conviés à intervenir au Collège de France. L’entrée en guerre empêcha Einstein de venir à Paris. Sous l’impulsion de Paul Langevin, professeur de Physique générale et expérimentale au Collège de France (1909-1946), l’invitation fut renouvelée en février 1922, peu après les tests de la théorie de la relativité générale effectués par l’astronome anglais Sir Arthur Eddington en 1919 qui contribuèrent à la renommée mondiale d’Einstein.

Dans le contexte de l’après-guerre, il était impératif, selon Langevin, de rétablir les relations entre les savants allemands et français, en dépit du sentiment antiallemand qui poussait certains savants à s’opposer aux théories d’Einstein et à sa présence en France. Le Collège, que l’astronome Charles Nordmann appela pour l’occasion « le quartier général d’Einstein » parce qu’il était « le centre des discussions » des théories du savant, constitua une exception dans le paysage de l’enseignement supérieur français (« Einstein à Paris », Revue des Deux Mondes, t. 8, 1922, p. 935). En plus d’exposer ses théories nouvelles devant un public savant au Collège, Einstein intervint aussi à la Société française de philosophie, où eurent lieu d’importantes discussions avec des professeurs du Collège, notamment Jacques Hadamard, professeur de Mécanique analytique et mécanique céleste (1909-1937), et Henri Bergson, professeur de Philosophie grecque et moderne (1900-1904), puis de Philosophie moderne (1904-1921). Le Collège se singularisa encore par la suite, en créant, en 1933 et toujours à l’initiative de Langevin, une chaire pour Einstein, qui avait fui l’Allemagne. Ayant déjà accepté un poste à l’Institut des études avancées de Princeton nouvellement créé (1930), Einstein n’occupe jamais cette chaire.

Avec pour fil conducteur la visite d’Einstein au Collège et à partir de l’ouverture du Collège à ses théories, ce colloque s’intéressera à l’impact des idées d’Einstein sur la physique française et, plus largement, dans la formation des savoirs et des arts (des années 1910 jusqu’à la Seconde Guerre mondiale) en France et au-delà. Contrairement à Freud et à Darwin, dont l’accueil au Collège a été difficile, accueil qui a fait l’objet de deux colloques précédents, la théorie de la relativité d’Einstein y a très tôt été présentée par Langevin, qui en a fait le sujet de ses cours dès 1910-1911. D’autres physiciens du Collège s’y sont intéressés (Léon Brillouin [Physique théorique, 1932-1949], Frédéric Joliot [Chimie nucléaire, 1937-1958] et André Lichnérowicz [Physique mathématique, 1952-1986], notamment) de même que des professeurs de philosophie, de poétique et d’histoire (Henri Bergson, Paul Valéry [Poétique, 1937-1945], Lucien Febvre, ou Maurice Merleau-Ponty [Philosophie, 1952-1961]) pour nous limiter à ces quelques noms. Le colloque réunira ainsi des physiciens, des historiens des sciences, des sociologues, des philosophes, des critiques littéraires dans le but d’interroger à nouveaux frais, à partir du Collège de France, le bouleversement dans les idées provoqué par la physique d’Einstein, que l’historien Lucien Febvre, professeur d’Histoire de la civilisation moderne (1933-1949), décrivait comme le « grand drame de la relativité », ou Merleau-Ponty comme « la crise de la raison ».

Avec le soutien financier de PSL (2017-2020), le colloque est organisé par Antoine Compagnon, Jean Dalibard et Jean-François Joanny, dans le cadre du projet, dirigé par Antoine Compagnon en collaboration avec Céline Surprenant, « Passage des disciplines : Histoire globale du Collège de France, XIXe-XXe siècle », qui porte sur l’évolution des matières enseignées aussi bien que de celles qui ont n’y ont pas été admises et qui forment un « Collège virtuel », depuis la fin du XVIIIe siècle jusqu’aux années 1960.

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