Amphithéâtre Maurice Halbwachs, Site Marcelin Berthelot
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Résumé

Les préfaces sont les endroits où les auteurs expriment plus directement leurs buts et leur rapport avec les autres textes. Or les prologues d’ouvrages juridiques nous sont parvenus en petit nombre, là encore en raison des choix opérés par les compilateurs de l’anthologie de Justinien. Ceux qui furent conservés sont situés à des endroits stratégiques du Digeste comme le prologue des Institutiones d’Ulpien (D., 1, 1, 1 pr.-1) sur la notion de ius, ou celui de Modestin, qui justifie le choix d’avoir écrit exceptionnellement en grec (D., 27, 1, 1). À côté de ces rares préfaces développées, le Digeste en garde quelques-unes plus synthétiques et techniques, comme celles qui jalonnent le commentaire à l’édit par Ulpien (par exemple D., 12, 1, 1 pr.-1). Mais elles devaient être plus nombreuses, ce que confirment les traces conservées hors du Digeste. Si Cicéron (De orat., 2, 221-226) a transmis le souvenir des initia des trois livres du ius civile de Brutus, au milieu du IIe siècle av. J.-C., la plus ancienne préface intégralement conservée hors du Digeste est celle de l’Assis distributio de Maecianus, un traité écrit en 139 apr. J.-C. et dédié au jeune Marc Aurèle. Que les Res Cottidianae de Gaius aient eu, elles aussi, un prologue, on peut le deviner des Institutiones de Justinien, qui s’en sont sans doute emparées (I., 1, 1, 1). Les juristes adaptaient donc le style de leurs préfaces à l’ouvrage qu’elles introduisaient, tout en les inscrivant dans une longue tradition littéraire, comme un pont entre un savoir technique et un horizon culturel plus ample, partagé avec leurs lecteurs.

La préface de Gaius au commentaire des Douze Tables est la plus ancienne transmise par le Digeste. La réflexion qu’elle contient sur la fonction de l’histoire dans une œuvre juridique suffit à expliquer qu’elle ait été conservée par les compilateurs comme introduction à l’unique titre à contenu historique du recueil de Justinien (D., 1, 2 : De origine iuris et omnium magistratuum et de successione prudentium). Gaius part de deux postulats : une chose est parfaite parce qu’elle est constituée de toutes ses parties ; de toutes les parties, la plus puissante est le commencement. Postulats qui peuvent être rapprochés de sources rhétoriques et philosophiques, de Platon et Aristote à Cicéron ou Quintilien. Une préface s’imposait donc, de même que le passé, partie initiale et déterminante pour la suite, devait ouvrir son commentaire à la loi des Douze Tables. Gaius justifie ainsi la nécessité d’exposer le commencement du ius avant la législation décemvirale : l’histoire a, pour le juriste, une fonction explicative.

« Facturus legum vetustarum interpretationem » : dans sa préface, Gaius fait allusion aussi à la préface de Tite-Live  Facturusne operae pretium sim si a primordio urbis res populi Romani perscripserim »), qui s’interrogeait sur l’opportunité d’écrire une histoire remontant aux origines de Rome, offrant à Gaius les concepts et le lexique pour sa propre réflexion (principium, origo, initia) et à nous, la possibilité d’insérer dans un champ culturel plus vaste la pensée d’un juriste sur le passé du droit.