Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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La semaine précédente, la discussion entamée autour de la note de Selim III à son vizir avait fourni l’occasion de se pencher sur la question des « voix » ottomanes et de la difficulté d’y accéder à travers une documentation assez pauvre en textes que l’on pourrait qualifier d’« ego-documents ». Une lecture au plus près de ce document dévoile la manière fort naïve dont le sultan se vantait auprès de son vizir d’en savoir plus que lui sur la culture et le savoir-vivre européens et se complaisait dans l’illusion que son échange de portraits avec Napoléon le mettait sur un pied d’égalité et d’intimité avec l’homme le plus puissant du globe. Ce sont là de précieux détails qui nous entrouvrent les portes de l’univers mental d’un Ottoman et que nous devons à la nature de ce document : une note presque verbale, rédigée à la hâte, sans sacrifier aux conventions d’un style épistolaire ou administratif.

Or, contrairement à leur forte présence en Europe occidentale, les mémoires et journaux ottomans sont extrêmement rares, de même que la correspondance entre les membres d’une faible minorité de gens maîtrisant la plume – dignitaires, bureaucrates, lettrés… Partout domine une documentation officielle, impersonnelle, variant du jargon administratif et fiscal de la gestion quotidienne de l’Empire au style ampoulé de la haute bureaucratie que seuls les kâtib ou scribes maîtrisent vraiment. Il n’est pas surprenant de voir que les sultans échappent jusqu’à un certain point à cette règle : ils ne sont guère soumis aux conventions et à l’étiquette, ce qui leur permet d’user d’un style beaucoup plus direct ; leurs « écrits impériaux » (hatt-ı hümayun) ont force de décret et sont toujours rédigés de leur main ; et leur parole, comme leurs écrits, sont recueillis et conservés avec une attention toute particulière. C’est ainsi que l’on arrive plus facilement à « entendre » les pensées et les sentiments des sultans dans des missives amoureuses, au détour d’un décret, ou dans les écrits des chroniqueurs de la cour.