Amphithéâtre Maurice Halbwachs, Site Marcelin Berthelot
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La théorie dite théorie « Fido »-Fido, défendue par Bertrand Russell, identifie le sens (le contenu) d’une expression et l’entité qu’elle représente (sa référence, entendue au sens réaliste et non au sens d’objet intentionnel). Le contenu du nom propre « Fido » est son porteur, à savoir mon chien Fido. De même, le contenu d’un prédicat est un « universel » (propriété ou relation), et le contenu d’un énoncé un état de choses. Bien que l’appellation théorie « Fido »-Fido ait été introduite pour la tourner en dérision, il s’agit d’une théorie importante, car c’est par rapport à elle – par rapport à ses insuffisances prétendues – que s’élaborent les théories plus complexes reposant sur des distinctions entre niveaux ou types de sens/contenu,comme celles de Frege ou Strawson. En outre, le niveau de contenu qu’elle met au premier plan joue effectivement un rôle de premier plan – un rôle de fondement – relativement aux autres niveaux de sens que postulent les théories plus complexes.

Les descriptions définies (« le F ») ne se comportent pas comme elles devraient selon la théorie « Fido »-Fido : l'absence de référent ne les rend pas dénuées de contenu. (On comprend très bien l’énoncé le livre qu’a consacré Victor Hugo à la bataille de Waterloo est intéressant, même si le livre en question n’existe pas.) Russell a répondu à cette objection en distinguant les descriptions définies des véritables termes singuliers, comme ce livre. Ces derniers désignent des objets individuels, dont ils imposent l'identification ; on ne comprend donc pas véritablement un énoncé comme Ce livre est intéressant si l'on n'identifie pas le livre dont on parle. Mais, affirme Russell, les descriptions ont une autre fonction logique, qui les apparente aux quantificateurs. Si Russell a raison, la théorie « Fido »-Fido n’est pas réfutée par les descriptions définies sans objet, puisque la contribution sémantique d’un quantificateur est non un objet mais (selon la sémantique contemporaine) une propriété d’ordre supérieur.

Strawson a objecté à Russell que même une phrase comme Ce livre est intéressant garde sa signification linguistique en l’absence de tout objet réel correspondant à ce livre. Strawson rejette donc la théorie « Fido »-Fido et distingue deux niveaux de sens : la signification linguistique d’une expression-type, correspondant à sa fonction, et le contenu référentiel véhiculé en contexte. Il n'en reste pas moins que Russell a raison de mettre l’accent sur la relation directe de référence entre une expression comme ce livre et une entité de l’environnement, relation qui distingue les termes singuliers authentiques des descriptions. La notion de signification linguistique ou de fonction que Strawson invoque pour écarter la théorie « Fido »-Fido présuppose elle-même cette relation directe de référence qui est au cœur de la théorie en question : en effet pour Strawson, la fonction d’une expression comme ce livre est de faire référence à une entité du type livre donnée dans l’environnement. Le point de départ, ce doit donc bien être la notion réaliste, relationnelle, de référence, celle que la théorie « Fido »-Fido met à l'honneur.