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Les juristes « écrivains » : y a-t-il une « littérature » juridique romaine

Les écrits des juristes romains, recueillis principalement dans le Digeste de Justinien, ont eu une influence profonde sur la culture juridique médiévale et moderne, sans pour autant retenir l’attention pour leurs caractéristiques littéraires. Le but pragmatique de ces écrits les éloigne certainement d’une prose littéraire plus élaborée, des romans d’invention, de l’historiographie et de l’art oratoire. Quintilien ne les mentionne pas dans le canon des auteurs dont il recommande la lecture aux élèves comme exercice stylistique. Un rapprochement avec la prose littéraire, qui s’applique aussi à la littérature technique (de la médecine à l’architecture, de l’art militaire à l’agriculture et à la rhétorique), trouve son intérêt si l’on tient compte des contrastes plutôt que des points de contact. Par rapport aux traités d’autres disciplines, la littérature juridique prend forme dans une grande indépendance par rapport aux modèles grecs. Elle est produite par les membres des classes supérieures, sénateurs, ou, pour le moins, chevaliers. Il ne s’agit pas de rendre compte d’une pratique développée ailleurs, mais de fournir un témoignage direct d’une certaine élaboration juridique, témoignage rédigé par ceux-là mêmes qui en sont les acteurs. La littérature juridique se distingue également par sa relation génétique à deux pratiques discursives, l’une écrite et l’autre orale, à savoir la loi et les réponses, qui en imprègnent le contenu et les formes.

Afin de tenter de caractériser cette littérature juridique, la première leçon adopte le point de vue des lecteurs, en essayant de déterminer qui est son public, quelles sont ses attentes. On se rend pour cela à un endroit inattendu, au banquet de Trimalcion, où l’on peut entendre une conversation révélant l’intense circulation des écrits des juristes, qui faisaient l’objet d’un véritable commerce. Dans l’ombre de la poésie et de la prose artistique, les ouvrages juridiques étaient lus par un public plus large que ce qu’on pourrait imaginer, intéressé surtout par une lecture utilitaire, dans un but de formation professionnelle. Cette destination se reflète même dans l’aspect extérieur des manuscrits, que les contemporains reconnaissent grâce à l’utilisation typique des titres écrits à l’encre rouge (« libra rubricata » les appelle, dans son langage familier, un hôte de Trimalcion). Le titrage rouge est une caractéristique encore bien visible dans un papyrus rare quasiment contemporain (P. Mich. 456r), qui révèle la fonction informative de ces textes, dans lesquels il fallait pouvoir retrouver rapidement ce que l’on cherchait, sans s’appuyer sur une lecture continue.

Si, aux yeux du public, les œuvres des juristes étaient une sorte de genre difficile, quoique utile, une analyse plus fine met en évidence, derrière une uniformité apparente, une variété de thèmes et de formes, tant de l’argumentation que de l’articulation, dans ces sous-genres littéraires.