Amphithéâtre Maurice Halbwachs, Site Marcelin Berthelot
En libre accès, dans la limite des places disponibles
-

La rencontre entre Calouste Sarkis Gulbenkian (1869-1955) et Alexis Leger (1887-1975) eut lieu dans la deuxième moitié de la décennie 1920-1930. Ils auront tôt découvert qu’ils partageaient des goûts très raffinés, dans ce qu’on pourrait appeler une solitude existentielle que chacun revendiquait comme un trait de caractère. Tous deux aimaient non seulement la nature et le grand air, le paysage, les jardins, les plantes et les oiseaux, mais aussi la contemplation silencieuse des œuvres et objets d’art dont Calouste Gulbenkian avait rassemblé une extraordinaire collection qu’il avait commencé à installer dans son immeuble de l’avenue d’Iéna à Paris.

Fin 1948, Calouste Gulbenkian, croyant son ami malade, s’enquiert par télégramme de sa santé. Leger vivait à Washington. Sa lettre de réponse débute par une sorte de verset bibliquement scandé à l’allure poétique solennelle : « Envers vous, et envers vous seul, je romps enfin tout ce silence où j’étais descendu comme dans un abîme ». C’est ainsi que reprend un contact plus assidu entre eux, cette voie épistolaire s’étant maintenue jusqu’en 1954. De cette phase, il existe 44 lettres manuscrites de Leger aux archives de la Fondation Calouste Gulbenkian à Lisbonne, envoyées entre 1948 et 1954. Moins nombreuses, les 23 lettres de Calouste Gulbenkian sont toutes dactylographiées.

À cette époque-là, Alexis Leger réussissait à survivre à Washington grâce à une bourse de 350 $ mensuels accordée par la Bollingen Foundation. S’étant aperçu que la situation financière du poète n’était pas brillante, Gulbenkian lui proposa de l’aider moyennant une allocation annuelle de 6 000 $ au moins pendant deux ans, discrètement payée par l’entremise de la banque Morgan. Le poète accepta, en manifestant sa profonde gratitude.

Quelques thèmes dominants vont être souvent repris et s’entrecroiser dans cette correspondance : une situation internationale changeante et très complexe ; les travaux d’aménagement dans le domaine « Les Enclos » que Gulbenkian avait acheté à Deauville ; la Nature, les paysages, les plantes et les voyages ; l’état de santé du vieux milliardaire ; sa précieuse collection d’objets et d’œuvres d’art ; une certaine supériorité morale des deux côtés, hautainement revendiquée sur leurs contemporains, parfois affirmée par Leger sur un ton peut-être un peu trop flatteur pour son richissime ami mais qui, on doit le reconnaître, ne déplaît pas à celui-ci.

Dans ses analyses, Leger a l’occasion de se pencher sur tout un éventail de questions alors brûlantes, comme celles du réarmement de l’Allemagne, de l’unité européenne, des intérêts industriels et géostratégiques des pays alliés, de la dynamique probable, des enjeux, des risques et des dangers des positions soviétique et chinoise, du rôle de l’idéologie, de la guerre de Corée, du manque de courage ou des hésitations de la politique étrangère en Amérique et en Europe, surtout de la part de la France et de l’Angleterre, de la production pétrolière, de la situation au Proche-Orient et des confusions inextricables qui menaçaient de se produire…Le poète était dans une position privilégiée pour livrer à Calouste Gulbenkian les analyses dont celui-ci avait besoin pour la conduction stratégique de ses affaires, dans une période particulièrement confuse et instable, notamment pour ce qui était de l’évolution de la situation au Moyen-Orient et de la production pétrolière et, en général.