Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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Si le détour fictionnel est nécessaire pour envisager historiquement la tyrannie, c’est qu’en elle se noue un despotisme énonciatif et politique. Telle est l’hypothèse de base du cours de cette année : une équivalence, ou une homologie, entre art de gouverner et art de raconter, ce qui implique de nouer la fiction de la tyrannie à la tyrannie de la fiction. C’est par exemple ce que documente le roman hispano-américain du XXe siècle, et notamment ce sous-genre narratif qu’on appelle le « roman du dictateur », lorsqu’il prête sa voix à un tyran de papier, à la fois burlesque et inquiétant. Cette séance d’introduction vise d’abord à rappeler les principaux apports méthodologiques du cours de l’année précédente sur les fictions politiques, rappelant avec Jacques Rancière que « ce qui distingue la fiction de l’expérience ordinaire, ce n’est pas un défaut de réalité mais un surcroît de rationalité ». Ainsi la fiction politique apparaît-elle comme une loupe qui permet d’observer, après coup, les signes avant-coureurs d’un changement historique. Ces hypothèses sont mises à l’épreuve dans une étude de cas : la théâtralisation du projet politique de Louis XIII dans le ballet dansé de La Délivrance de Renaud (29 janvier 1617), avant-coup fictionnel de sa prise de pouvoir. Comme dans La Fête au bouc (2000) de Mario Vargas Llosa, le désordre burlesque est une inversion carnavalesque aux fins du pouvoir. Pour déjouer les pièges du récit, il convient donc, avec Louis Marin, de suivre les « narrateurs habiles et légers ».

Sommaire

  • « Pour l’essentiel, le pouvoir autoritaire est librement consenti » (Timothy Snyder, De la tyrannie.Vingt leçons du XXe siècle, Paris, 2017)
  • Un recueil de nouvelles théoriques, où « l’obéissance anticipée » de l’intrigue à la morale
  • L’hypothèse de départ : un nouage entre art de gouverner et art de raconter
  • Quand le « roman du dictateur » mime et mine la voix du despote : le Recours de la méthode (Alejo Carpentier, 1974)
  • « Il jette sa voix devant lui pour être entendu, écouté, obéi. Bien qu’il paraisse muet, taciturne, silencieux, son silence est un ordre. Ce qui signifie que dans le Suprême, il y a au moins deux personnes » (Augusto Roa Bastos,Moi, le Suprême, 1974)
  • Le « monologue multiple » de Gabriel Garcia Marquez et la « neutralisation de la fascination » (Emmanuel Bouju, La transcription de l’histoire, Rennes, 2006)
  • Le chaos carnavalesque : « un bobard de l’imagination, un tyran pour rire qui ne sut jamais où était l’envers et où était l’endroit de cette vie » (L’Automne du patriarche, 1975)
  • Retour à la novellistica toscane et rappels de quelques propositions du cours de l’année précédente sur les fictions politiques comme expérience de production de la vérité : métaphores, préfigurations, pastiches et postiches
  • « Ce qui distingue la fiction de l’expérience ordinaire, ce n’est pas un défaut de réalité mais un surcroît de rationalité » (Jacques Rancière, Les bords de la fiction, Paris, 2017)
  • « Face au Léviathan » : Rebrousser chemin à partir d’un point de répulsion : le nouvel âge de la représentation
  • Le 15 mai 1610, au matin, un enfant de huit ans…
  • Louis XIII et la fiction politique des origines médiévales du Lit de justice
  • Dérèglement rituel, improvisation théâtrale
  • « Qu’a-t-on à opposer au pouvoir absolu de l’empereur ? Ni un droit ni des idées. Seulement une accumulation de souvenirs, vrais ou inventés, et d’images » (Gilbert Dagron, Empereur et prêtre. Étude sur le « césaropapisme » byzantin, Paris, 1996)
  • Le « portrait royal rasséréné » de Henri IV et le « roi hanté » Louis XIII : l’âge de la « représentation représentée » (Yann Lignereux, Les rois imaginaires. Une histoire visuelle de la monarchie de Charles VIII à Louis XIV, Rennes, 2016)
  • Le coup de majesté de l’assassinat de Concini le 25 avril 1617
  • Une histoire visuelle et textuelle de la fabrique du tyran (Hélène Duccini, Faire voir, faire croire. L’opinion publique sous Louis XIII, Seyssel, 2003)
  • Les Merveilles et coup d’essai de Louis le Juste : « Que vous, Sire, ayez eu une patience merveilleuse et conduite si secrète qu’à peine se trouverait-elle semblable aux âmes les plus chenues, c’est ce qui me jette comme hors de moi »
  • Le prince idéal comme illusion d’optique : une histoire d’anamorphoses et de prises de position
  • Le coup d’État est comme l’orage : « on voit plus tôt tomber le tonnerre qu’on ne l’a entendu gronder dans les nuées » (Gabriel Naudé, Considérations politiques sur les coups d’État, 1639)
  • La fiction politique comme loupe politique qui permet d’observer, après-coup, les signes avant-coureurs
  • Un avant-coup fictionnel : le ballet dansé de la Délivrance de Renaud (29 janvier 1617)
  • La force de frappe du pathétique politique fait défaillir la représentation (Sylvaine Guyot)
  • Un feu purificateur va « rappeler tous ses sujets à leur devoir, et les purger de tous prétextes de désobéissance » (Discours au vray du ballet dansé par le Roy)
  • La théâtralisation du projet politique de Louis XIII, un acting out ?
  • Quand l’événement devient, en temps réel, la scénographie de son propre déroulement « Merci, grand merci à vous, à cette heure je suis roi »
  • Répétition fictionnelle et clôture tragique : La Magicienne étrangère
  • Les deux costumes du roi : « la force démoniaque du feu [s’est] transformée et intensifiée en lumière du roi soleil » (Giovanni Carreri, Jérusalem délivrée. Gestes d’amour et de guerres, Paris, 2005)
  • Comme dans La fête au bouc (Mario Vargas Llosa, 2000), le désordre burlesque est une inversion carnavalesque aux fins du pouvoir
  • « Et voici le mythe fondateur ; un jour, la force, au lieu de frapper, a parlé ? Au lieu de se faire craindre, par sa nécessité même, de faire la guerre pour s’assurer qu’elle était la plus forte, elle s’est investie dans les signes qui la désignent, elle s’est mise en représentation. Elle a tenu discours, un discours qui répète seulement ceci ; qu’elle est la justice et la vérité » (Louis Marin, Le récit est un piège, 1978)
  • Est-il imparable ? La leçon des bêtes et les « brèves machinations » des fables (La Fontaine, « Le Pouvoir des fables ») et des contes (Perrault, Le Chat botté)
  • Suivons les « narrateurs habiles et légers »