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Pierre-Michel Menger présente son cours dans la série les courTs du Collège de France.

Notre cours a pour objectif d’établir l’histoire longue d’une notion, le talent, dont l’emploi a évolué à l’opposé de son sens littéral. Originairement défini comme une unité de mesure et de poids, la notion a été employée pour désigner des capacités, des aptitudes et des dons reçus en partage, dont l’activation supposait l’exercice de la volonté, ou, dans une interprétation plus audacieuse, appelait la prise de risque. Mais dans son usage métaphorique, le talent fait partie de ces catégories dispositionnelles dont la définition est aussi imprécise que l’usage en est commode. Utilisée au XVIIIsiècle pour soutenir une nouvelle conception de l’égalité individuelle et pour légitimer l’ambition de la réussite affranchie de l’arbitraire des privilèges héréditaires, la notion a connu ensuite le destin que lui réservaient les positions antagonistes sur les « justes inégalités » inaugurées pendant la Révolution française. L’invocation du talent est au cœur du libéralisme politique et économique du XIXsiècle, mais aussi du saint-simonisme, et de son apologie de l’audace des artistes, des savants et des ingénieurs et entrepreneurs. À l’opposé, la notion de talent fut invoquée, dans sa version inclusive et non compétitive, par Pierre-Joseph Proudhon et par Karl Marx pour écarter la valeur de différenciation et de hiérarchisation individuelles, au profit d’un idéal, accessible à tous, de réalisation de soi par l’agir productif, moyennant l’égalisation radicale des chances de développer la totalité de ses potentialités. Socle de la conception méritocratique de la réussite individuelle, d’un côté, instrument de libération des individus par le travail désaliéné, de l’autre, le talent s’est ainsi incarné dans deux figures opposées, exclusive et inclusive, en bénéficiant de son caractère malaisément définissable.

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