Amphithéâtre Guillaume Budé, Site Marcelin Berthelot
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Qu’est ce qu’un livre ? Un discours qui a cohérence et unité ou bien une anthologie de fragments et d’extraits ? La numérisation d’objets de la culture écrite qui sont encore les nôtres, le livre, mais aussi la revue, le journal, oblige de faire retour sur la question. L’essentiel me paraît se situer dans la profonde transformation de la relation entre la partie et la totalité. Au moins jusqu’à aujourd’hui, dans le monde électronique, c’est la même surface illuminée de l’écran de l’ordinateur qui donne à lire les textes, tous les textes, quels que soient leurs genres ou leurs fonctions. Est ainsi rompue la relation qui, dans toutes les cultures écrites antérieures, liait étroitement des objets, des genres et des usages. C’est cette relation qui organise les différences immédiatement perçues entre les différents types de publications imprimées et les attentes de leurs lecteurs, guidés dans l’ordre ou le désordre des discours par la matérialité même des objets qui les portent. Et c’est cette même relation qui rend visible la cohérence des œuvres, imposant la perception de l’entité textuelle, même à celui qui n’en veut lire que quelques pages. À l’inverse, dans le monde de la textualité numérique, les discours ne sont plus inscrits dans des objets qui permettent de les classer, hiérarchiser et reconnaître dans leur identité propre. C’est un monde de fragments décontextualisés, juxtaposés, indéfiniment recomposables, sans que soit nécessaire ou désirée la compréhension de la relation qui les inscrit dans l’œuvre dont ils ont été extraits.

On objectera qu’il en a toujours été ainsi et que, comme on l’a vu, la culture écrite a été grandement et durablement construite à partir de recueils d’extraits, d’anthologies de lieux communs, de morceaux choisis. Certes. Mais, dans la culture de l’imprimé, le démembrement des écrits est accompagné de son contraire : leur circulation dans des formes qui respectent leur intégrité et qui, parfois, les rassemblent dans des « œuvres », complètes ou non. De plus, dans le livre lui-même, les fragments sont nécessairement, matériellement, rapportées à une totalité textuelle, reconnaissable comme telle. Il n’en va plus de même dans le monde du numérique et ce n’est pas le moindre des défis qu’il lance aux catégories qui régissaient le rapport aux livres, aux textes et aux œuvres, désignées, pensées et appropriées dans leur singularité et cohérence.