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L'écriture fait partie des inventions culturelles qui ont radicalement modifié les compétences cognitives de l'espèce humaine. Véritable extension de notre mémoire, elle « nous permet de converser avec les morts, avec les absents, avec ceux qui ne sont jamais nés, à travers toutes les distances du temps et de l'espace » (Abraham Lincoln). L'objectif du cours 2006-2007 était d'examiner par quels mécanismes le cerveau humain parvient à lire, c'est-à-dire à accéder aux représentations linguistiques et mnésiques par le biais de la reconnaissance visuelle de symboles arbitraires.

Les mécanismes cognitifs de la lecture présentent un intérêt particulier dans la mesure où ils soulèvent la question des fondements des apprentissages culturels. L'écriture n'a été inventée qu'il y a environ 5 400 ans, et jusqu'à très récemment, seule une toute petite fraction de l'humanité apprenait à lire. Le cerveau humain ne peut donc en aucun cas avoir fait l'objet d'une pression sélective, au cours de son évolution, pour en faciliter l'apprentissage. Il en va de même pour la plupart, sinon toutes les compétences culturelles qui appartiennent au bagage récent de l'humanité : au premier abord, elles semblent sans précédent dans l'évolution des espèces et détachées de tout lien avec l'histoire évolutive de notre cerveau. De fait, bien rares sont les chercheurs en sciences sociales qui considèrent que la biologie du cerveau et la théorie de l'évolution pourraient être pertinentes pour leur domaine d'étude. La plupart adhèrent à un modèle implicite du cerveau que j'appelle celui de la plasticité généralisée et du relativisme culturel, qui voit dans le cerveau humain un dispositif universel d'apprentissage. Libéré des entraves de la biologie, le cerveau humain, à la différence de celui des autres espèces animales, serait capable d'absorber toute forme de culture, aussi variée soit-elle.

À l'encontre de cette vision relativiste et apparentée au dualisme, dans la mesure où elle dissocie la réflexion humaine de ses racines biologiques, le cours 2006-2007 se proposait, à travers l'examen détaillé des mécanismes cérébraux de la lecture, d'esquisser une approche neurobiologique des activités culturelles humaines, la théorie du recyclage neuronal. De toute évidence, il ne s'agit pas de nier que notre cerveau soit capable d'apprentissage, sans quoi il ne pourrait jamais incorporer de nouveaux objets culturels. Mais cet apprentissage paraît étroitement limité. Chez tous les individus, dans toutes les cultures du monde, les mêmes régions cérébrales interviennent dans la lecture, et les mêmes contraintes caractérisent les systèmes d'écriture. Selon l'hypothèse du recyclage neuronal, les inventions culturelles telles que la lecture reposent sur des mécanismes cérébraux anciens, qui ont évolué pour un autre usage, mais qui disposent d'une marge suffisante de plasticité pour parvenir à se recycler ou se reconvertir à ce nouvel usage. Chaque objet culturel doit ainsi trouver sa « niche écologique » dans le cerveau : un circuit dont le rôle initial est suffisamment proche, et dont la flexibilité est telle qu'il peut être reconverti à ce nouvel usage. Ce circuit conserve toutefois des propriétés intrinsèques, héritées de son évolution, qui le rendent plus ou moins approprié à son nouvel usage. Ainsi les contraintes neurobiologiques confèrent aux objets culturels des traits universels.

Dans le cas de la lecture, trois grands ensembles de circuits cérébraux sont mis en jeu. Les réseaux de la reconnaissance visuelle invariante interviennent afin d'identifier la chaîne de caractères - ce sont ces circuits qui sont aujourd'hui les mieux connus sur le plan cérébral, et auxquels le modèle du recyclage neuronal s'applique le plus directement. Viennent ensuite la conversion des caractères écrits en une représentation phonologique et, en parallèle, l'accès au lexique et au sens des mots et des phrases. Chacun de ces réseaux se met en place avec l'apprentissage de la lecture, dépend en partie de l'organisation de l'écriture et de l'orthographe de la langue, et peut fait l'objet de déficits cognitifs chez l'adulte comme chez l'enfant. Le cours a examiné successivement ces différents points, en s'appuyant sur la littérature spécialisée ainsi que sur plusieurs ouvrages de référence (Ferrand, 2001 ; Rayner & Pollatsek, 1989 ; Snowling, 2000 ; Snowling & Hulme, 2005).

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