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Pauvreté et développement dans un monde globalisé – Leçon inaugurale de François Bourguignon

Présentation

Si l'on doit juger le développement par la capacité des pays en développement à rattraper les pays développés et à diminuer la pauvreté, les performances de ces dernières décennies sont mitigées. Certains pays, notamment en Asie et la Chine en premier lieu, ont connu un indéniable succès. En revanche les niveaux de vie de l'Amérique latine sont restés à peu près au même niveau par rapport à la moyenne mondiale, tandis que plusieurs pays d'Afrique sub-saharienne ont vu leur retard initial s'accentuer. En proportion de la population mondiale, la pauvreté a diminué. Mais, en nombre absolu de pauvres, ce n'est que sur les toutes dernières années qu'elle a commencé de régresser. Et, dans les deux cas, le progrès se doit avant tout aux performances exceptionnelles de la Chine, où le nombre de pauvres a diminué d'environ 400 millions de personnes depuis 20 ans ! Aujourd'hui, 1,3 milliard d'habitants de la planète vivent dans le dénuement avec moins de 1 € par personne et par jour, en pouvoir d'achat des pays développés, pour subsister et 80 % d'entre eux vivent dans la péninsule indienne ou sur le continent africain.

Que faut-il conclure de ce constat ? Très certainement que la quête d'une recette universelle assurant le décollage économique des pays en développement n'a pas été couronné de succès. Seuls quelques pays peuvent faire état aujourd'hui de véritables résultats. Pourtant, la façon dont économistes, praticiens et décideurs abordent les questions de développement a profondément évolué, sans pour autant que, en dehors des cas cités, la réduction de la pauvreté s'accélère de façon notable. Il y a 40 ou 50 ans, la modélisation macroéconomique et la planification dominaient l'économie du développement, discipline naissante. Combien fallait-il investir, dans quel secteur ou quelle infrastructure pour garantir un taux de croissance annuelle du PIB par tête de x % pour les prochaines 5 ou 10 années ? L'approche du développement a ensuite évolué pour redonner au marché et aux politiques d'incitation à l'initiative privée la place qui leur convenait sans pour autant que, en dehors de périodes de conjoncture internationale favorable, la croissance des niveaux de vie s'accélère notablement dans l'ensemble du monde en développement. Aujourd'hui les questions que se posent chercheurs et décideurs sont d'une toute autre nature. Pour nombre d'entre eux, elles concernent beaucoup plus directement que dans le passé les individus et les ménages, leurs conditions de vie et la façon de les améliorer. Comment transférer de façon efficace un complément de pouvoir d'achat aux plus pauvres, comment encourager la scolarisation, comment améliorer l'efficacité de l'enseignement primaire ? Les programmes de microcrédit ont-ils effectivement un impact significatif sur la pauvreté ? Quel est l'impact d'un programme de distribution de moustiquaires sur la malaria ? Pour d'autres, la réflexion porte plutôt sur le rôle des institutions et celui des élites politiques et économiques et leur caractère plus ou moins « développementaliste ». Il faut attendre pour voir si cette nouvelle approche débouchera sur un progrès et sur un rattrapage plus uniforme des pays en développement sur les pays riches.

Est-ce à dire que l'économie et la pratique du développement n'a été qu'une suite d'essais et d'erreurs, dont certains ont effectivement débouché sur des succès mais dont la grande majorité n'a conduit qu'à des résultats très moyens ? Faut-il aller jusqu'à penser, comme le font certains, que l'économie du développement est purement et simplement un échec et que l'on n'a rien appris des expériences nationales de développement telles qu'elles se déroulent en temps réel depuis 50 ans et que le « savoir » que nous avons accumulé pour lutter contre la pauvreté est minime, et même nul ? Le mieux que nous puissions faire aujourd'hui est-il simplement de venir en aide aux plus pauvres du monde, en leur apportant un complément de pouvoir d'achat et en garantissant l'éducation et la bonne santé de leurs enfants tout en renonçant à promouvoir une dynamique économique qui permettrait progressivement aux individus et aux familles de devenir auto-suffisants et d'améliorer de par eux-mêmes leurs conditions de vie ?

Fort heureusement, nous n'en sommes pas là. Un savoir s'est effectivement accumulé sur les mécanismes du développement, qui pointe effectivement sur une extraordinaire variabilité de ces mécanismes dans l'espace et dans le temps, des contraintes auxquelles ils sont soumis, et des politiques à mettre en œuvre. C'est l'objectif de ce cours que d'essayer d'évaluer ce savoir en revenant sur les grands débats de l'économie du développement à la lumière des éléments empiriques dont on dispose aujourd'hui.

Ma leçon inaugurale est divisée en trois parties. La première retrace la façon dont ce savoir a progressé, et parfois régressé, au cours du temps à la faveur ou la défaveur de la conjoncture économique mondiale. La seconde se concentrera sur le rôle de la mondialisation, de la communauté internationale du développement et notamment des pays développés dans le développement des pays les plus pauvres. La dernière partie illustrera un certain nombre des points relevés précédemment en examinant les défis et les contraintes qui pèsent aujourd'hui sur le développement de l'Afrique sub-Saharienne, région dont on peut penser qu'elle concentrera de plus en plus la pauvreté mondiale dans les décennies qui viennent, et sur la façon dont on peut espérer les relever.