Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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En 1950-1954, le « champ de présence » heideggérien de Foucault est constitué, « côté amont », par la réception de Heidegger dans les années 1930, c’est le « moment Koyré-Corbin » ; « côté aval », par sa réception académique de l’immédiat après guerre, c’est le « moment Hyppolite ». La première traduction de Heidegger par Henry Corbin paraît en 1931 dans Bifur, revue dadaïste, dirigée par Georges Ribemont-Dessaignes, avec une préface d’Alexandre Koyré. Il s’agit de Qu’est-ce que la métaphysique ?, traduction de Was ist metaphysik ?, leçon inaugurale de Heidegger à l’université de Fribourg (1929). De là trois questions :

  1. Qui est Henry Corbin ?
  2. Qui, en 1931, parle de Heidegger à Paris ?
  3. Pourquoi Bifur ?

Après une série d’indications biographiques sur Corbin, on a examiné l’année 1931 à la section des sciences religieuses de l’École pratique des hautes études et trouvé une mention de Heidegger dans le cours d’Étienne Gilson sur « la théologie naturelle de Duns Scot » : « Duns Scot a construit une métaphysique des essences dont la phénoménologie de Heidegger croit encore pouvoir s'inspirer ». Cela a été l’occasion de rappeler la thèse d’habilitation de Heidegger (1915) : Die Kategorien- und Bedeutungslehre des Duns Scotus. Corbin étant l’élève de Gilson et de Koyré, on a présenté l’enseignement de Koyré à l’EPHE et souligné le rôle de Koyré et de Kojève comme introducteurs de la philosophie allemande en France. La parution de Qu’est-ce que la métaphysique ? dans Bifur est consécutive à un refus de la NRF. La préface de Koyré fait l’éloge de la « démolition » heideggérienne et loue la « puissance destructive » de cette « cathartique du Néant ». Le ton est bien différent dans « L'évolution philosophique de Martin Heidegger », la relecture de Heidegger par Koyré en 1946 dans Critique, la nouvelle revue de Georges Bataille. Ce texte, axé sur Vom Wesen der Wahrheit, éclaire les emprunts supposés de Foucault à Heidegger dans l’article de 1984 publié post mortem en hommage à Canguilhem. Koyré y utilise l’expression « histoire de la vérité », fait allusion à la « fin » de l’homme, s’attache à la distinction entre égarement (Irre) et erreur (Irrtum), et ressaisit le sens de l’évolution de Heidegger à partir de la notion d’errance et de « règne de l’errance ». La pointe de la critique de Koyré est que, malgré ses affirmations, Heidegger n’a donné dans Sein und Zeit qu’une anthropologie. Pour pallier l’échec de Sein und Zeit, Heidegger « se tourne vers l’histoire », entendue désormais comme « histoire de la constitution du sens de l’être ». Mais c’est, selon Koyré, un nouvel échec. L’heure s’est achevée sur une évocation de Foucault lecteur de Koyré : la recension de La Révolution astronomique, Copernic, Kepler, Borelli dans la NRF (1961), et sur la reprise de la notion d’histoire de la vérité.