Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
En libre accès, dans la limite des places disponibles
-

Le premier cours a introduit à ces questions en rappelant les origines et les ressorts de l’anti-intellectualisme présent dès l’Antiquité (cf. les railleries de la servante Thrace à l’endroit des philosophes perdus dans les cieux ; Théétète, 174a-175a). On est revenu sur les formes plus récentes de cet anti-intellectualisme dans les accusations de Pierre Bourdieu à l’encontre de la « raison scolastique [1] » et de l’illusion d’une indépendance ou d’une transcendance du savoir et de toute pratique réflexive, là où il faut voir une relation de co-originarité logique entre les pratiques et la structure, le « champ », bref, tout un système de dispositions ou d’habitus qui rend inconcevable on ne sait quel « point de vue de nulle part ». On a montré qu’il s’agit moins d’un anti-intellectualisme radical ou d’un sociologisme déterministe, que d’« une simple adhésion, constitutive de l’engagement scientifique, au principe de raison » et, comme le dit Bourdieu en termes pascaliens, de la volonté de trouver « la raison des effets » – en l’occurrence, de trouver des raisons sociales à des effets sociaux, et en particulier « à des effets qui n’ont pas l’air d’être sociaux mais le sont néanmoins bel et bien [2] ». Pour Bourdieu, on ne saurait transiger, même pour les raisons politiques les plus respectables, avec les exigences propres de la science. Simplement, « inscrire dans la théorie le principe réel des stratégies, c’est-à-dire le sens pratique », c’est montrer que « des notions comme celle d’habitus (ou système de dispositions), de sens pratique, de stratégie, sont liées à l’effort pour sortir de l’objectivisme structuraliste sans tomber dans le subjectivisme [3] ». D’où la proximité de Bourdieu, déjà notée par Bouveresse, avec des auteurs comme Wittgenstein, mais aussi avec Gilbert Ryle. Pour tous les trois, « l’apprentissage d’un jeu peut passer par la formulation et l’acquisition explicite des règles qui gouvernent le jeu ». Mais « l’on peut également acquérir le genre de comportement régulier qui correspond à la maîtrise pratique du jeu sans que l’énonciation de règles quelconques ait eu à intervenir dans le processus ». Ce pourquoi, en bien des cas, « une description de la connaissance pratique qui rend possible la pratique concernée risque de n’être finalement pas très différente d’une description appropriée de la pratique elle-même [4] ».

Références

[1] Méditations pascaliennes, Paris, Seuil, 1997.

[2] J. Bouveresse, Pierre Bourdieu, savant et politique, Marseille,Agone, 2004,p. 117-118.

[3] P. Bourdieu, Choses Dites, Paris, Minuit, 1987, p. 76-77.

[4] J. Bouveresse, op.cit., p. 46-47.

[5] Cf. Pierre Pellegrin et Michel Crubelier, Aristote, le philosophe et les savoirs, Paris, Seuil, 2002, p. 152-153 ; Richard Sorabji, « Aristotle on the role of intellect in virtue », in Essays on Aristotle’s ethics, Oxford University Press, 1980, p. 201 ; Richard Bodeus, intr. à Ethique à Nicomaque, Paris, Garnier-Flammarion, 2004, p. 40-41 ; Pierre Aubenque, La prudence chez Aristote, Paris, PUF, réedit. 2014 ; Problèmes aristotéliciens, Paris, Vrin, 2011.

[6] Celui, tiré de la conférence plénière donnée à l’Aristotelian Society en 1945 : « Knowing How and Knowing that » (Proceedings of the Aristotelian Society, New Series, Vol. 46 (1945-1946), p. 1-16), et les analyses menées, par d’autres arguments, notamment au chapitre 2 de l’ouvrage de 1949, The Concept of Mind (La Notion d’esprit, pour la traduction française que nous devons, chez Payot, à Suzanne Stern-Gilet).