15:30 à 16:30
Cours

Le fait urbain en Asie centrale préislamique : approche diachronique, approche synchronique, III : la crise urbaine et la réurbanisation (IIIe-VIs.), un processus général ? (suite) (6)

Frantz Grenet
Amphithéâtre Maurice Halbwachs, Site Marcelin Berthelot
En libre accès, dans la limite des places disponibles
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Résumé

Procope mentionne aussi que « les citoyens riches ont pour habitude de s’attacher des amis au nombre de vingt ou plus, qui deviennent des compagnons de banquet permanents et ont part à toute leur propriété » ; à quoi il ajoute la coutume du suicide collectif à la mort du maître, ce qui est peut-être à prendre cum grano salis. On a vu là la préfiguration des chākar sogdiens, suite militaire attachée au seigneur par une sorte de lien d’adoption. Est-ce à l’origine des accusations de sodomie que les Perses imputaient aux Hephtalites, stéréotype ou réalité souvent associés aux fraternités militaires ?

L’épisode militaire le mieux connu, relaté de manière identique par Procope et par l’historiographie arabe-persane, est l’Azincourt sassanide, la bataille finale contre Pērōz en 484 : par une fuite simulée un détachement hephtalite attire l’armée sassanide dans une tranchée profonde recouverte de branchages et de terre ; la lourde cavalerie cuirassée périt tout entière, avec le roi. La fausse fuite ainsi que le piège sont des pratiques de chasseurs nomades (voir les immenses pièges à gazelles sur tout le rebord du plateau de l’Ustjurt à l’ouest de la mer d’Aral). Procope mentionne la compétence en archerie des troupes hephtalites mises momentanément au service des Sassanides (fig. 1).

Après avoir liquidé la menace sassanide, les Hepthalites savaient que le danger principal viendrait désormais du nord. C’est probablement de cette période que date la systématisation des murs d’oasis de la Sogdiane en une chaîne continue de longs murs, le Kampir-Diwal, en cours d’étude par Sören Stark dans l’oasis de Boukhara avec de nouvelles méthodes physiques de datation.

Khosrow Ier a voulu recommencer l’alliance de revers qui, au début du règne de Pērōz, avait amené les Hephtalites au pouvoir, cette fois-ci avec l’empire tout nouvellement constitué des Turcs occidentaux. En 556, les Turcs conquièrent la Sogdiane. En 560, le Tokharestān se retrouve divisé entre eux et les Sassanides, mais les frictions commencent rapidement. Pas plus que pour les invasions précédentes on n’a pour l’Asie centrale de récits de sièges ni de dommages subis par les populations civiles, à part un témoignage dans une source bouddhique récemment publiée, le récit du pèlerin indien Narendrayaśas [11] : venant de Khotan et arrivé à Beshbaliq, il n’a pas pu continuer son chemin vers la Sogdiane à cause de l’invasion turque qui bloque les routes. Par rapport aux précédentes, l’originalité de cette nouvelle conquête depuis la steppe est qu’elle attendra un siècle pour déborder au sud de l’Hindukush.

Avec cette dernière vague nous arrêtons provisoirement la narration historique, pour aborder plus finement le terrain archéologique. Ce faisant, il faudra garder à l’esprit les grands cadres définis par ce qui précède : les migrations ; les processus de sédentarisation ; la militarisation de la société ; l’afflux monétaire.

Bol du Swat, vers 460-480 : Représentation du souverain hephtalite à la chasse (
Figure 1 : Souverain hephtalite à la chasse (bol du Swat, vers 460-480)

Les reconstructions proprement archéologiques : richesse et limites

Le schéma théorique de Sergey Tolstov a mis au cœur de l’analyse archéologique les systèmes fortifiés, et plus précisément le phénomène d’encastellamento qui caractérise selon lui la période comprise entre le IVe et le VIIsiècle [12]. Ils n’en sont pas sortis depuis, pour la bonne et simple raison qu’ils constituent l’essentiel de la documentation dans ce domaine, à la fois en quantité et en accessibilité. Parfois, notamment au Khorezm, on peut, ou plutôt on pouvait à l’époque de Tolstov, faire beaucoup d’observations sans avoir à fouiller ; aujourd’hui subsistent surtout les sites en hauteur.

La principale synthèse est aujourd’hui G. L. Semënov, Sogdijskaja fortifikatsija V-VIII vekov, Saint-Pétersbourg, Gos. Èrmitazh, 1996, inégalée par l’abondance de l’information et l’intelligence de la réflexion [13].

L’inventaire global des sites est très avancé dans toutes les régions (sauf du côté afghan) et la tâche qui s’impose surtout aujourd’hui est l’affinement des chronologies.

Tâche complexe, comme on s’en est bien rendu compte lors d’un colloque à la mémoire de Semënov tenu spécialement sur ce sujet en 2015 [14].

Références