Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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Deuxième heure. La seule alternative médiévale au modèle d’Aristote est celui d’Augustin. Le « lieu » théologique en est l’Épître aux Galates (Ga 5, 17) : Il y a un conflit de désirs en l’homme : la chair désire contre l’esprit ; l’esprit désire contre la chair : ils s’opposent l’un à l’autre, de sorte que les choses que l’on voudrait, on ne puisse les faire. Dans son œuvre comme dans sa vie, Augustin fait à la fois écho à Paul et au « problème de Gethsémani ». Le point de départ d’Augustin est la résistance à soi-même de l’esprit voulant en tant qu’il veut. L’explication de ce phénomène dont Augustin accumule les descriptions paradoxales est que la volonté n’est pas tout entière à vouloir ce qu’elle veut, qu’elle n’est pas tout entière dans son vouloir. Cette maladie de l’esprit (aegritudo animi) est l’état normal du voulant. La volonté n’obéit qu’à demi, parce qu’elle ne commande qu’à demi. En termes scotistes : elle ne peut vouloir en a, sans nouloir en a. Il n’y a pas deux volontés complètes en l’homme, deux volontés opposées – l’une bonne, l’autre mauvaise – portées par deux natures ou substances distinctes, la chair et l’esprit, l’âme et le corps – la thèse manichéenne ; il y a une volonté dédoublée par le nouloir que creuse en chaque vouloir sa propre incomplétude, en conséquence du péché d’Adam. Il n’y a pas deux âmes en moi, mais une seule âme, en lutte avec elle-même, qui se divise en un velle  et un nolle, à cause du péché, qui « habite en elle », comme le dit Rm 8, 14. Pour résumer en une formule le modèle d’Augustin : on ne peut vouloir en a qu’à condition de nouloir en a ; on ne peut nouloir en a qu’à condition de vouloir en a. De ce modèle, Hanna Arendt a donné une description précise : « Il faut toujours deux volontés rivales pour vouloir. » C’est un fait de structure. Le conflit de volontés est l’expression de ce qu’Arendt appelle le « Deux-en-un », Two-in-One, qui caractérise tous les processus mentaux ou psychiques : pensée, vouloir et jugement. La volonté, partagée et produisant automatiquement sa contre-volonté, ne devient une qu’en passant à l’action. La faille à l’intérieur de la volonté est indépendante du contenu qui est voulu : bien ou mal, bon ou mauvais. Une volonté mauvaise n’est pas moins partagée qu’une bonne et vice versa. Selon Arendt, ce qui résout le conflit entre velle et nolle constitutif de la volonté en tant que figure pratique du Deux-en-un, c’est, en un mot, l’acte lui-même. On ne sort du tourment qu’en agissant, en résorbant le contre-vouloir dans l’acte. Duns Scot, pour qui « la volonté fait toujours en même temps acte de vouloir et de non vouloir » est le continuateur d’Augustin. C’est à John Adams qu’est revenu le mot de la fin : Spectemur Agendo ! « Let us be judged by our actions ! », l’année s’achevant sur l’énoncé de dix-huit questions formulées en guise de conclusion, ponctuées par l’annonce du thème de 2016 : « Le sujet de la passion ».