Conférencier invité

Quand l'écuyer se transforme en chevalier : l'exégèse canonique comme terrain de polémique dans la pensée confucéenne

du au
Voir aussi :

Ces deux exposés visent à mettre en relief un phénomène culturel de signification importante – bien que de portée limitée en termes quantitatifs – dans la tradition intellectuelle chinoise, à savoir, le recours à l’exégèse canonique chez certains grands penseurs comme mode d’auto-expression – mode dans lequel on dépasse les méthodes herméneutiques de base en s’étendant sur ses propres idées philosophiques. Il ne manque pas d'érudits, dans la Chine ancienne, ayant développé leurs arguments dans le cadre de traités monographiques. D’autres cependant s’expriment principalement – et dans certains cas uniquement – à l'intérieur de leur œuvre exégétique. De là provient le petit jeu de mots qui forme le titre de ces deux conférences. Il se base sur une locution d'usage fréquent dans les études judaïques classiques : le nossé kelim, dont le sens propre, le « porteur d’armes », fait allusion à un commentateur (généralement à un sous-commentateur) qui prend la lance rhétorique et se jette de toutes ses forces dans la mêlée polémique.

Notre compte rendu sur ces guerriers de l’esprit en Chine commence par passer en revue un phénomène parallèle observé dans la plupart des grandes traditions scolastiques des mondes antiques et médiévaux, telles que l' exégèse homérique d'Anaxagore aux néoplatoniciens et stoïciens, la tradition rabbinique après les midrachim et le corpus talmudique de l’antiquité tardive jusqu'à Nahmanide et Gersonide au Moyen-Âge, Ibn Arabi et Fakhroddîn Râzi sur le Coran et les Hadîth, le Śaṅkarābhāṣya sur le corpus de l’Advaita Vedānta et bien d'autres.

Arrivant aux exégètes chinois de tous les courants, nous essaierons d'élucider la différence – parfois assez subtile – entre certains, qui ont pour but l'explication des écritures canoniques en empruntant une panoplie de méthodes philologiques et interprétatives, et d'autres, dont l'analyse herméneutique ne sert que de point d'entrée dans le débat philosophique. Cette distinction devient assez trompeuse dans le domaine du discours confucéen de l'empire tardif, où l'éventail de controverses se réduit à un nombre fort limité de sujets, particulièrement aux lignes de démarcation entre les dimensions fondamentales définissant l'homme et son univers : sa disposition morale innée (xing), l'essence fondamentale de son existence concrète (qing), les facultés cognitives et émotives de sa conscience (xin), d'une part, et la relation complémentaire entre le substrat matériel (qi) et les principes structurants (li) constituant les paradigmes de l'être, de l'autre. Étant donné que la plupart de ces questions sont formulées en phrases tirées des « Cinq Canons » et des « Quatre Livres » du corpus confucéen, cela confère à tout le discours philosophique de cette période un certain aspect exégétique, ce qui met en évidence de façon encore plus frappante l'audace de la démarche intellectuelle de nos chevaliers textuels.