Salle 2, Site Marcelin Berthelot
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Depuis quelques décennies, comme les académiques ont critiqué l’eurocentrisme et ont recherché une identité asiatique, ils ont redécouvert le travail de Takeuchi Yoshimi (1910-1977). Takeuchi était l’un des intellectuels publics majeurs dans le Japon d’après-guerre, mais son travail le plus incisif se structure autour d’une théorie de l’Asie corrélée à la décolonisation et à une critique de l’hégémonie eurocentrique. Les critiques de l’eurocentrisme font ressortir une lecture spécifique du rapport entre l’inégalité et le temps. Comme les personnes perçoivent des inégalités dans le monde, elles imaginent que les différentes régions du monde évoluent suivant des trajectoires historiques similaires. En bref, les disparités de la modernité capitaliste sont perçues en matière de vitesse, qui fait référence à un mouvement dans le temps — les différentes régions et nations semblent évoluer vers la même destination avec des vélocités différentes. Les panasianistes et d’autres critiques de l’eurocentrisme s’attaquent précisément à cette vision du monde. Les marxistes ont, en leur temps, reproduit le modèle spatio-temporel ci-dessus en se référant à une séquence de modes de production. La remise en cause par Takeuchi de ce modèle engendre des problèmes à l’intersection du marxisme, tiers-mondialisme et postcolonialisme, puisqu’il se demande comment, en marge du capitalisme global, la résistance peut être possible.

Malgré l’ampleur du travail sur Takeuchi ces dernières années, il y a eu insuffisamment d’études sur le rapport de Takeuchi au marxisme, et sur la manière dont une telle étude pourrait davantage mettre en lumière son travail. Au cœur de la confrontation entre Takeuchi et le Marxisme réside la question du comment considérer le projet marxiste par rapport aux critiques de la théorie de la modernisation. Les défenseurs de la théorie de la modernisation traduisaient souvent les inégalités géographiques en sous-développement temporel et concluaient que les régions asiatiques devaient à terme rattraper l’Occident. Pour reprendre les mots de Johannes Fabian, on pourrait dire que les théoriciens de la modernisation ainsi qu’un bon nombre de marxistes japonais ont refusé toute contemporanéité de l’Asie.

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