Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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Dans les lettres, 1966 est une période d’interrègne pour la poésie. Gaëtan Picon dirige le Mercure de France jusqu’à sa disparition à l’été 1965. La revue L’Éphémère prendra la suite. Alors que le Mercure de France a duré trois siècles, L’Éphémère ne durera que quelques années. En septembre 1966, c’est la mort d’André Breton, la fin d’un règne. Trois commandeurs de la poésie dominent alors le paysage : Saint-John Perse, Char et Michaux. Ponge, qui vit une seconde jeunesse, notamment grâce à Sollers, les suit de très près ; il est sans doute le plus actif et le plus en prise avec ce qui se fait (il lit Barthes).

L’arrivée de la poésie en poche marque une forte nouveauté, que certains voient comme un sacrilège. Les situationnistes s’en prennent vivement à ce nouvel objet de consommation et se montrent tout aussi sévères à l’endroit des autres arts, dénoncent l’« établissement d’une différenciation publicitaire entre produits identiques dans la nullité (Perec ou Robbe-Grillet ; Godard ou Lelouch) ».

1966, c’est aussi le temps du divorce entre le nouveau roman et Tel Quel, jusque-là proches et complices, le moment de la séparation entre Sollers et Robbe-Grillet, et celui de l’essor de Duras, dans tous les genres et media. Barthes choisit alors Sollers contre Robbe-Grillet et insiste sur le caractère désormais historique du nouveau roman, dépassé par Tel quel. Dans son premier article dans Tel Quel, « La littérature, aujourd’hui » (1961), Barthes niait que l’étiquette de « nouveau roman » recouvrît autre chose qu’un mythe et associait encore Robbe-Grillet et à la « littérature immédiatement contemporaine ». Dans son deuxième article de Tel Quel, Barthes associe toujours Robbe-Grillet et Sollers à la même cause littéraire. Entre-temps, Tel Quel a publié un long article de Genette « Sur Robbe-Grillet » (1962), recueilli dans Figures en 1966, qui se montrait toujours favorable. Mais en 1966, le temps des complicités de Tel Quel et du nouveau roman est révolu : la rupture a été signifiée par une brève note hostile de Sollers sur l’ouvrage théorique de Robbe-Grillet, Pour un nouveau roman (1964). Sollers, conformément aux réserves déjà exprimées par Barthes, dénonçait comme une incohérence et une régression le passage du « réalisme objectif » au « réalisme subjectif » dans l’œuvre de Robbe-Grillet (du chosisme à l’humanisme, comme disait Barthes). Sollers défendait la contestation du roman psychologique et bourgeois par les romanciers modernes, mais critiquait l’erreur « réaliste » symétrique qui donnait un privilège inacceptable au monde extérieur, suivant une conception naïve de la réalité échouant à saisir la manière d’apparaître des choses. En d’autres termes, sous l’allure de l’objectivisme – naguère loué par Barthes –, Robbe-Grillet, par faiblesse philosophique, reconduisait le psychologisme. Il avait d’abord défendu une théorie objectale, ensuite le blocage des significations, il en était enfin revenu à l’idée de la subjectivité absolue, du réalisme mental.