Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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Dès le Salon de 1845, Baudelaire évoquait un regret : « Au vent qui soufflera demain nul ne tend l’oreille ; et pourtant l’héroïsme de la vie moderne nous entoure et nous presse. […] Ce ne sont ni les sujets ni les couleurs qui manquent aux épopées. Celui-là sera le peintre, le vrai peintre, qui saura arracher à la vie actuelle son côté épique, et nous faire voir et comprendre, avec de la couleur ou du dessin, combien nous sommes grands et poétiques dans nos cravates et nos bottines vernies. » L’argument sera repris et développé en conclusion du Salon de 1846, dont le dernier chapitre est intitulé « De l’héroïsme de la vie moderne » et commence par constater (c’est la leçon tirée de ce Salon) la décadence de la peinture : « Il est vrai que la grande tradition s’est perdue, et que la nouvelle n’est pas faite. » Après et malgré l’éloge du romantisme, de la couleur et de Delacroix, pourtant décrit comme « le chef de l’école moderne », « la dernière expression du progrès dans l’art », Baudelaire donne deux exemples, deux approximations de cette extraction de la beauté moderne qu’il appelle de ses vœux. Or les peintres de la vie moderne sont, bien avant Constantin Guys, des peintres de mœurs, voire des caricaturistes : Eugène Lami et Gavarni.

Le siècle est désormais dépourvu de pompe ; il n’y a pas de beauté absolue et éternelle. Jusqu’au bout, romantisme et modernité ne font qu’un, aux yeux de Baudelaire. La modernité consiste à prélever le meilleur. Ce sont les peintres de mœurs, voire des caricaturistes, qui incarnent la future grande peinture. « Ce ne sont pas des génies supérieurs, mais ils ont su tirer la beauté de la vie moderne », et notamment dans l’habit noir. Baudelaire en parle comme des « poètes du dandysme ». Le croquis de mœurs se trouve ainsi être le cœur de cette représentation de la modernité et de la vie triviale.

Quelques caricaturistes français est un texte publié en 1857, mais il s’inscrit dans un projet beaucoup plus vaste et ancien. À ce titre, on peut le lire comme un lien tissé entre les Salons de 1845 et 1846 et Le Peintre de la vie moderne. Baudelaire a toujours voulu écrire sur la caricature ; il voit en elle un art comparable à celui du romancier et du moraliste. Le nom de Balzac revient d’ailleurs invariablement dans ces écrits. C’est le modèle de cette quête de l’héroïsme de la vie moderne. Il existe ainsi bien un fil qui guide vers Le Spleen de Paris, fait de « croquis de mœurs », de caricatures. Baudelaire est intéressé par la caricature dès 1845, mais le poème en prose n’en deviendra pas l’équivalent avant 1861-1862. L’art moderne, c’est le croquis de mœurs ou la caricature, et c’est ce qui sera réalisé dans le poème en prose.