Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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L’émergence de la figure de l’athlète pour désigner l’écrivain est certainement liée au nouveau régime de liberté d’expression expérimenté à partir de 1820, qui favorise l’activité de la presse, et suscite une concurrence accrue entre ses représentants. Si l’écrivain est comparé à un athlète, c’est parce qu’il prend part à une lutte qui, loin d’être seulement métaphorique, engage également son corps. Victor Hugo, dans les Odes et Ballades (1827), fait se succéder « Le chant de l’arène », « Le chant du cirque » et « Le chant du tournoi » ; dans Les Contemplations (1856), il fait rimer poète non seulement avec prophète, mais encore avec athlète. La rime se retrouve chez Alfred de Vigny, chez Théodore de Banville, chez Alphonse de Lamartine qui célèbre en Lamennais le poète martyr, athlète du christianisme, retrouvant ainsi le sens religieux du terme.

Pour être écrivain et se faire une place dans un champ littéraire compétitif, il faut être endurant, robuste de corps, et que cette robustesse se transmette encore au style. Trois écrivains, en particulier, paraissent unir ces deux qualités, physique et stylistique : Alexandre Dumas, « athlète du feuilleton » que les Goncourt décrivent comme « une espèce de géant » s’astreignant à la plus rigoureuse hygiène de vie ; Gautier ; et surtout Balzac, à qui Sainte-Beuve – avec Rodin – reconnaît le corps d’un athlète, et qui sait mieux que les autres avec quelle générosité et quelle régularité il faut produire pour survivre. Son personnage Lucien de Rubempré, aspirant à la carrière littéraire, est moins chanceux, doté seulement d’un corps chétif qui paraît le signe d’un écrivain « sans cœur ou sans talent ». Le vocable est beaucoup moins appliqué à Hugo, que seul Jules Janin distingue en ce sens, comme le seul survivant de la dure bataille romantique. Baudelaire, lui, sait bien dire la distance de son corps à celui de Pierre Dupont, poète du prolétariat, décrit comme un véritable Hercule. Cependant, il sacrifie au lieu commun au moment de faire l’éloge d'Edgar Allan Poe, mélange de féminité et de robustesse, d’orgie et de rigueur.