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Génie précoce et lecteur assidu de Hugo et des parnassiens, Rimbaud avait une estime exceptionnelle pour Baudelaire : « Baudelaire est le premier voyant, roi des poètes, un vrai Dieu », écrit-il. Mais il éprouvait aussi envers lui une réserve non moins révélatrice : « Encore a-t-il vécu dans un milieu trop artiste ; et la forme si vantée en lui est mesquine : les inventions d'inconnu réclament des formes nouvelles ». Le conférencier a tenté une analyse de la démarche poétique de Rimbaud à la lumière de Baudelaire, autour de quatre thèmes majeurs : les correspondances, le voyage, le poème en prose et l’enfance.

La première conférence portait sur le reflet de l’idée baudelairienne des correspondances dans la conception rimbaldienne d’une langue « résumant tout, parfums, sons, couleurs », en même temps que sur l’écart entre leurs deux sonnets, « Correspondances » et « Voyelles ». Loin de la vision des « analogies universelles » qui fonde le sonnet baudelairien, « Voyelles »,inspiré au départ par celui-ci, s’en détourne vite pour devenir le laboratoire d’un jeu effréné caractéristique d’associations sensorielles.

Dans la deuxième conférence a été tenté un rapprochement des deux poètes autour du thème du voyage, appuyé notamment sur deux grands poèmes, « Le Voyage » et « Le Bateau ivre ». En suivant les avatars de « l’inconnu » croisé de ce thème, on a vu que « Le Voyage » est fondé sur une vision et une langue essentiellement critiques, désabusées, pour dire l’omniprésence des péchés et de l’Ennui et l’impossibilité de trouver l’inconnu sauf dans la mort, alors que « Le Bateau ivre », incarnant la sensibilité d’une adolescence à peine sortie de l’enfance, ne cesse de le poursuivre, quitte à arriver à une conclusion similaire.

La troisième a été consacrée à la question du poème en prose, genre dont Baudelaire et Rimbaud sont l’un et l’autre fondateurs, en l’occurrence dans sa parenté avec le conte. À travers une lecture parallèle d’« Une mort héroïque »(dans Le Spleen de Paris) et de « Conte » (dans les Illuminations), tous deux narratifs et présentant un souverain face à l’ennui, on a constaté la parenté du poème en prose baudelairien avec une nouvelle brève, intense et autonome à la Poe, alors que « Conte », tout en affichant dans son titre son appartenance générique, vise à épaissir son énigme séduisante par un mutisme stratégique.

Dans la quatrième et dernière conférence, on a comparé la perception de l’enfance chez les deux poètes. Cette première période qui constitue le fondement de tout homme est évoquée chez Baudelaire tantôt ontologiquement par la remémoration intime, tantôt esthétiquement comme l’embryon d’un futur artiste (l’idée du « génie-enfant ») ou éthiquement comme le petit homme incarnant déjà la méchanceté inhérente à l’être humain : elle est toujours ressaisie dans une distance critique. Au contraire, chez Rimbaud, pour qui l’enfance reste encore toute proche, la dimension critique se double d’une dimension poétique comme dans « Les Poètes de sept ans », et le regard rétrospectif se mêle souvent d’une inquiétude ou une hantise d’abandon comme en témoigne « Enfance ».

Ainsi, il s’agissait chaque fois moins de constater la filiation entre les deux rénovateurs de la poésie française que de suivre leurs divergences ou leurs contrastes à partir d’un point de croisement, de mesurer ce que Rimbaud doit à Baudelaire dans son éloignement plutôt que dans sa fidélité. Rimbaud est un élève insoumis et son assimilation est toujours une trahison créatrice.