Amphithéâtre Maurice Halbwachs, Site Marcelin Berthelot
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Dans le cas d’un terme « vide » mais pourvu de sens comme le mot licorne, on montre, suivant Frege, qu’il y a bien une entité  à laquelle ce terme général renvoie, à savoir la propriété d’être une licorne, même s’il n’y a pas d’objet qui possède cette propriété. Autrement dit, l’extension du terme est vide, mais l’expression n’est pas pour autant dénuée de référence.

Un second type de contre-exemple apparent à la théorie « Fido »-Fido concerne les énoncés existentiels négatifs véridiques, comme Vulcain n’existe pasSoit il y a un objet auquel le nom propre « Vulcain » fait référence, et l’énoncé (qui dit que cet objet n’existe pas) devrait être faux. Soit il n’y a pas d’objet mais alors l’énoncé devrait être dénué de sens (puisque le sens se réduit à la référence, dans la théorie « Fido »-Fido, et que le terme sujet échoue à faire référence). La réponse de Russell à ce type de contre-exemple peut être reformulée au moyen de la notion de coercion issue de la sémantique contemporaine : dans le contexte d’un énoncé existentiel, le nom propre qui (normalement) désigne un objet acquiert la valeur sémantique d’une description, de sorte que, dans le cadre théorique de Russell, le contre-exemple disparaît.

Cette théorie des descriptions déguisées s’applique à d’autres contre-exemples putatifs à la théorie « Fido »-Fido, par exemple l’emploi de termes singuliers dénués de référence dans des énoncés attribuant des pensées ou des paroles (Le Verrier pensait que la découverte de Vulcain le rendrait célèbre) ; l'analyse que donne Frege de tels énoncés peut elle-même être reformulée en termes de coercion. Bien que ces analyses, tant celle de Russell que celle de Frege, violent le principe d' « innocence sémantique » qu'acceptent beaucoup de philosophes du langage contemporains, on montre que celui-ci doit être rejeté puisque, aussi bien dans les énoncés existentiels que dans les énoncés attribuant des pensées ou des paroles, l'emploi de « non-mots » dépourvus de sens (comme le mot borogrove figurant dans le poème Jabberwocky de Lewis Carroll) n'empêche pas l'énoncé global d'avoir un sens (Les borogroves n'existent pas ; Jean croit que dans le jardin poussent des borogroves). Le mot borogrove dans ces énoncés est comme mis entre guillemets (Les « borogroves » n'existent pas ; Jean croit que dans le jardin poussent des « borogroves »). Au lieu de dire, suivant Russell, que borogrove acquiert par coercion un contenu descriptif métalinguistique (chose nommée « borogrove »), on peut faire appel ici à la théorie de la « polyphonie », selon laquelle l’emploi d’un terme est parfois réinterprété comme la simulation de l’emploi de ce terme par quelqu’un d’autre. Cette théorie, appliquée à l'emploi des noms vides dans les énoncés existentiels et dans les énoncés d'attitude propositionnelle, permet aussi de préserver la théorie « Fido »-Fido: la coexistence de plusieurs points de vue au sein d’un même énoncé est une complication dont la théorie « Fido »-Fido fait entièrement abstraction et qui ne saurait donc être retenue contre elle.