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La Méditerranée : avec ce concept, peut-on et doit-on faire de l’histoire intéressante ? Si oui, quel genre d’histoire ? Telles sont les questions qui sous-tendaient The Corrupting Sea. A Study of Mediterranean History (Oxford, 2000). Les conférences présentées au Collège de France ont exploré la manière dont on pourrait aborder les relations entre les histoires de la Méditerranée et celles du monde qui entourait la région méditerranéenne. Elles se concentraient sur l’histoire antique, avec des incursions dans l’histoire plus récente.

Dans la pensée antique, le terrestre et le maritime étaient strictement distingués. Cette distinction est bien comprise. Nous avons exploré la manière dont les auteurs de l’Antiquité entendaient réduire la séparation en parlant de « devenir maritime », contrairement à l’orientation normale de la vie humaine tournée vers la terre. Le locus classicus se trouve dans Hérodote 7, 144 : anankasas thalassious genesthai Athenaious (« forçant les Athéniens à devenir maritimes »), un précédent spectaculairement développé par la stratégie de Rome contre Carthage lors de la Première Guerre punique. Ce topo a une longue histoire et on le retrouve dans de nombreux récits de victoires militaires inattendues. On peut se demander comment cette conception bien connue peut être reliée à l’histoire sociale et politique plus réaliste des gens de mer de la Méditerranée. L’enquête conduit à une vision des moyens et des objectifs d’une mobilisation plus ou moins forcée de gens dans un milieu maritime. Ce dernier acquiert de ce fait une personnalité historique distincte, et établit en même temps des relations particulières avec les terres où sont recrutés les marins. En retour, la comparaison éclaire d’un autre jour les épisodes bien connus du « devenir maritime » dans l’histoire antique.

Nous avons commencé par tracer la frontière entre les lieux où l’on recrutait les gens de mer et la mer sur laquelle ils se déployaient. En tant qu’espace, celle-ci était définie par cette mobilisation, et plus largement par sa connectivité. Ceux qui vivaient le plus près de la mer pouvaient être mobilisés aisément et de façon répétée. Pourtant dans certains cas, ce sont les plus improbables des habitants des terres qui sont « devenus maritimes » : les montagnards et les barbares venus de territoires éloignés des côtes. « Devenir maritime » apparaît alors comme un mouvement unique orienté vers la mer et son niveau élevé de connectivité, selon un gradient qui peut être calculé en fonction de la connectivité, et surtout en fonction de la mobilisation des biens et des personnes. Les zones terrestres de l’intérieur ont aussi leur propre régime de connectivité. Nous avons donc étudié l’histoire des polarités changeantes, dans les zones situées entre la mer et le continent, qui peuvent être dominées à la fois par des formations d’origine maritime ou terrestre, selon des mouvements récurrents qui nous poussent à les nommer « sociétés du ressac ». La dynamique de ces changements peut être étroitement reliée au développement des États, et nous avons entrepris de rechercher des dénominateurs communs dans le développement de petites entités politiques à la périphérie de l’espace méditerranéen, entre l’âge du bronze et le Moyen Âge.