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Le cours de 2013-2014 a poursuivi celui de l’année précédente en approfondissant par des exemples la réponse à la question posée : « Quel est le nom du poète ? ». On a donc commencé par rappeler le sens de cette question et la démarche suivie pour y répondre.

À la théorie littéraire du XXsiècle finissant, qui privilégiait la lecture immanente des textes et mettait en cause la notion même d’auteur, a succédé depuis quelques années une critique résolument biographique. Les études historiques ont connu dans le même temps une évolution comparable : la biographie était déconsidérée par le mépris qui pesait sur l’histoire événementielle, voire sur l’idée que les destins et les décisions des individus pouvaient peser de façon décisive sur le cours de l’histoire. Mais la levée, certes un peu réticente, de l’oukase qui pesait sur les biographies est venue de l’école des Annales elle-même avec, en 1995, le Saint-Louis de Jacques Le Goff, et depuis lors les plus grands historiens écrivent des biographies et les ouvrages les plus influents sont souvent des biographies.

La poésie médiévale a été utilisée au service de ces orientations successives de la théorie, de la critique et de l’histoire littéraires au regard de la notion d’auteur. Il y a quelques décennies, on voyait une confirmation des convictions dominantes touchant à la fois la littérature en général, le fonctionnement de l’esprit et même l’idéologie sociale, d’une part dans son anonymat fréquent, qui paraissait un de ses traits caractéristiques, puisqu’il était déjà essentiel à l’interprétation qu’en avait donnée le romantisme et qu’il avait été peu remis en cause par la suite malgré le discrédit, au demeurant injuste, du médiévisme romantique, et, d’autre part, dans le caractère formel qui, pensait-on, la définit. Aujourd’hui où les biographies d’écrivains paraissent une approche essentielle à la compréhension de la littérature, voici que l’on devient attentif au fait que celle du Moyen Âge est loin d’être aussi systématiquement anonyme qu’on l’a dit. L’intérêt pour les formes que prend la relation de l’auteur à son œuvre invite à jeter un regard nouveau sur les jeux du poète sur son nom, sur la révélation et la dissimulation de son identité, sur ses masques, sur les formes diverses de sa présence dans l’œuvre, qui fournissent une part non négligeable de la matière poétique. La littérature du Moyen Âge, qui avait fourni des arguments pour effacer le nom de l’auteur, en fournit à présent pour montrer son importance.

Tel avait été, en 2012-2013, le point de départ du cours. Le premier exemple abordé, celui des chansons de geste à travers le nom de Turoldus au dernier vers de la Chanson de Roland et celui de Bertrand de Bar-sur-Aube dans les chansons où il apparaît (Girart de Vienne, Beuve de Hantone, Doon de Nanteuil), justifiait l’hypothèse que la question du nom du poète pouvait aider à la compréhension de la littérature médiévale dans son ensemble. Dans les chansons de geste, la répartition d’une personna ou d’une figura d’auteur entre jongleur interprète de la chanson, d’une part, et compositeur du texte, de l’autre, était prévisible ; mais la tendance à confondre et à accréditer les deux figures en en faisant, au fil des versions et des remaniements, un personnage de l’histoire ne l’était pas. Elle défie nos conceptions de la vraisemblance tout en suggérant un type particulier d’adhésion au récit littéraire. Elle trouve au demeurant des équivalents dans des cas qui appellent une adhésion plus grande encore, celle de la foi. C’est ainsi qu’on peut lire dans un sermon français du XIIIsiècle : « Moïse écrit dans la Pentateuque qu’après la mort de Moïse… ».

On a proposé d’en tirer deux conclusions provisoires : le poète est traité comme un personnage ; le poème précède le poète. Que signifient ces deux formules ? Comment passe-t-on de l’une à l’autre ?

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