Salle 2, Site Marcelin Berthelot
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Conférence en anglais.

En 1993, lorsque Bill Clinton, le président des États-Unis de l'époque a essayé d'ouvrir le marché du riz japonais, nous avons assisté à un tollé sans précédent. Il était considéré comme le Commodore Perry dont le bateau noir a forcé l'ouverture du Japon en 1853 et 1854. Que les agriculteurs soient opposés aux négociations n'était pas une surprise, mais la population japonaise a largement participé au mouvement d'opposition, étant prêts à payer plusieurs fois le prix pour garder son riz au Japon. Tous les partis politiques, de droite comme de gauche, ont promis de se battre « jusqu'à la mort » contre la pression américaine pour ouvrir le marché du riz. L'opposition n'était pas seulement contre les riz à grains longs, mais contre le riz californien, cultivé à partir de semences japonaises. Ainsi jusqu'à la prospérité des années 1980, il n'y avait pas de « riz japonais », puisque chaque agriculteur conservait ses semences pour l'année suivante. La rhétorique a été rédigée dans la langue du « riz comme identité de soi » et « les rizières sont notre terre », qui embellissent notre terre et purifie notre eau et notre air, ce que ne fait pas le riz de Californie.

La force de la valeur symbolique du riz exprimée lors de ce mouvement était tout à fait remarquable alors que le Japon a longtemps « souffert » de la surproduction de riz et que le gouvernement subventionnait les agriculteurs pour laisser les rizières en jachère, malgré l'été exceptionnellement froid de 1993 qui donna de très faibles rendements de riz.

Pour comprendre ce « déséquilibre » entre la valeur symbolique attribuée au riz comme identité de soi et l'économie politique liée à la culture du riz, j'examine ici les données historiques et ethnographiques sur une longue période de l'histoire japonaise dans une perspective comparative.

La riziculture a probablement été introduite au Japon à partir de la Chine autour de 300 ans avant notre ère. Elle est devenu la pierre angulaire de l'économie politique des puissances politiques, y compris à la cour impériale. Le contrôle étatique de la production, de la distribution et de la consommation de riz a commencé au moins au VIe siècle et a continué littéralement à travers l'histoire, en incluant sa campagne contre le régime carné. L'empereur Tenmu (vers 672-686) chargea des savants de compiler les histoires mythiques de Kojiki et Nihonshoki parmi lesquels le mythe où la divinité de l'alimentation cultiva la première récolte de riz. La déesse du Soleil envoya le petit-fils céleste pour transformer le monde sauvage, c'est-à-dire l'archipel japonais, en un pays regorgeant de succulents plants de riz. En 675, l'empereur Tenmu émit une ordonnance pour faire pratiquer deux rituels nationaux pour assurer la promotion de la culture du riz. Sept jours plus tard, l'empereur rendait une autre ordonnance importante, interdisant de manger cinq animaux utiles à l'agriculture. La raison officielle de cette interdiction était le respect de la doctrine bouddhiste de la miséricorde pour tous les êtres vivants, qui soulignait l'importance de l'évitement de la souillure liée aux cadavres, des humains et des animaux, qui était une croyance importante dans la religion indigène du shintoïsme.

L'impureté était devenue une forme de négativité radicale au XIIe siècle, et était associée à la viande et à ceux qui tuent les animaux. Pendant le XVIIe siècle et jusqu'au XIXe siècle, les intellectuels nativistes ont valorisés le travail agricole comme une pratique de la « voie des anciens » fournissant ainsi l'arme idéologique/symbolique pour mettre exclusivement l'accent sur l'agriculture, alors que la roue de la modernisation tournait rapidement vers l'industrialisation et l'arrivée d'autres activités économiques. Le régime alimentaire « officiel » des Japonais a depuis lors consisté de poissons et de légumes. Quand le Commodore Perry a forcé l'ouverture du Japon en 1853 et 1854, les Japonais sont entrés dans un débat féroce : devaient-ils adopter un régime carné afin de rattraper leur retard et rivaliser avec l'Occident ? Ceux qui s'opposaient à l'imitation de l'Occident soulignèrent l'importance de la riziculture et la supériorité d'un régime alimentaire à base de riz, même si l'armée, qui adhéra au régime alimentaire à base de riz, subit d'énormes pertes à cause du béribéri, bien plus que sur les champs de bataille, alors qu'il n'y avait aucune victimes parmi les marins, dont le régime alimentaire comprenait de l'orge et du pain. En effet, la carence en vitamine B1 comme étant la cause du béribéri ne fut découverte qu'en 1910.