La première leçon d’introduction a commencé par rappeler la citation de l’Académie des sciences de Suède qui a établi un parallèle entre les recherches menées à Paris sur la manipulation non destructive et le contrôle de photons piégés dans une cavité et celles, menées à Boulder, sur l’étude des ions piégés. Cette citation a également précisé que ces expériences ont longtemps été considérées comme impossibles à réaliser pratiquement. En commentant cette citation, il a semblé opportun de relier ces travaux aux expériences de pensée imaginées par les fondateurs de la théorie au début du XXᵉ siècle et d’expliquer comment ces expériences ont pu devenir réalisables grâce aux progrès de technologies toutes issues de la physique quantique.
La leçon a commencé par rappeler comment est né le concept de photon en 1905 dans l’article fondamental d’Einstein sur l’effet photoélectrique. L’hypothèse que la lumière, classiquement considérée comme une onde, devait être également décrite comme un ensemble de particules discrètes, les photons, allait révolutionner la physique en introduisant la notion de dualisme entre ondes et particules, que de Broglie devait une vingtaine d’années plus tard étendre à la matière. Cette dualité devait ensuite être formalisée dans la théorie quantique élaborée par Heisenberg, Schrödinger et Dirac, sous la forme du principe de superposition des états qui énonce qu’un système quantique existe potentiellement à la fois dans plusieurs états, en étant pour ainsi dire suspendu entre différentes réalités classiques. Pour comprendre la signification de ce principe et celle du dualisme onde-particule, Bohr et Einstein ont, au cours des congrès Solvay de 1927 et de 1930, décrit des expériences de pensée qui sont devenues fameuses. Il s’agit en particulier de l’expérience des fentes de Young avec une fente mobile destinée à « espionner » le chemin suivi par une particule traversant l’appareil, et celle de la « boîte à photon » destinée à compter sans les détruire les photons contenus dans une boîte et à déterminer avec précision le moment où ces photons s’échappent. La leçon a repris la description de ces expériences, en expliquant comment elles illustraient le principe de complémentarité cher à Bohr. Ce principe analyse les ondes et les particules non pas comme des entités contradictoires, mais comme des notions complémentaires, l’une ou l’autre se manifestant suivant la nature des expériences réalisées. Une attention spéciale a été accordée au fameux chat de Schrödinger, suspendu entre la vie et la mort, une autre expérience de pensée imaginée par le physicien autrichien pour souligner le problème d’interprétation qui se pose à la physique quantique lorsque l’on cherche à comprendre la transition entre le monde microscopique, où le principe de superposition s’applique, et le monde macroscopique où on n’en voit pratiquement jamais les effets directement.
Les doutes des fondateurs de la théorie sur la possibilité de réaliser ces expériences au laboratoire ont ensuite été rappelés, en particulier la fameuse phrase de Schrödinger disant que l’on ne peut observer des particules quantiques que par les traces qu’elles laissent après avoir été détruites, dans des expériences de type « post-mortem ». La situation a changé depuis le temps de Schrödinger grâce au développement de technologies, toutes rendues possibles par la connaissance du monde microscopique apportée par la physique quantique : les lasers accordables en fréquence permettent de manipuler les atomes avec une précision extraordinaire, les ordinateurs modernes peuvent traiter en temps réel les informations recueillies par les systèmes quantiques étudiés et enregistrer des signaux de corrélations complexes, le développement des matériaux supraconducteurs a rendu possible la réalisation de miroirs ultra-réfléchissants nécessaires au piégeage des photons...
Grâce à ces avancées technologiques, on peut maintenant manipuler pour ainsi dire « in vivo », sans les détruire par la mesure, des particules quantiques isolées et étudier leur évolution, leurs sauts quantiques et leur réponse à toutes sortes de perturbations. Les expériences menées à Boulder et à Paris sont, comme il a été rappelé plus haut, les deux faces d’une même médaille : le groupe de recherche américain piège des atomes (en fait des ions, atomes ionisés portant une charge positive) et les manipule et détecte à l’aide de faisceaux de photons. Le groupe ENS (École nationale supérieure)-Collège de France piège des photons et les contrôle et détecte à l’aide d’atomes traversant le piège un à un. Dans les deux cas, les expériences sont théoriquement décrites par un modèle très simple analysant le couplage matière-rayonnement au niveau le plus fondamental, en termes d’interaction entre un atome à deux niveaux et un mode quantifié du champ. La leçon a rappelé ce modèle, introduit en optique quantique il y a cinquante ans par Jaynes et Cummings.
Après cette introduction rapide à la physique du contrôle des systèmes quantiques isolés, la deuxième partie de cette première leçon a adopté un point de vue historique en décrivant l’évolution des recherches du titulaire de la chaire depuis son travail de thèse au laboratoire Kastler Brossel (qui s’appelait alors le Laboratoire de spectroscopie hertzienne de l’ENS) sous la direction de Claude Cohen-Tannoudji, jusqu’aux recherches qu’il a menées comme visiteur postdoctoral à Stanford, dans le laboratoire d’Arthur Schawlow. Le travail de thèse effectué à l’ENS entre 1967 et 1971 a introduit en physique atomique le concept d’atome habillé par des photons, qui consiste à traiter un atome interagissant avec un champ électromagnétique comme une entité, l’atome habillé, dont l’étude des niveaux d’énergie permet d’analyser de façon simple et synthétique l’ensemble des propriétés physiques. La leçon a décrit un certain nombre d’effets prédits par ce modèle et observés dans des expériences réalisées avec des atomes pompés optiquement et interagissant avec des champs de radiofréquences d’intensité et de polarisation variées. Ces effets incluent l’existence de nouvelles résonances observées en champ magnétique transversal au faisceau de pompage optique (résonances de croisement de niveaux de l’atome habillé) et un phénomène de modification et d’annulation du moment magnétique des atomes sous l’effet de l’habillage par les photons de radiofréquence.
Ces expériences sur l’atome habillé ont été pour leur auteur une initiation aux méthodes de manipulation des atomes par la lumière. Traitant des nombres de photons très élevés, elles étaient parfaitement interprétables en termes classiques pour le champ. Elles ont néanmoins permis d’introduire en physique atomique une approche de type « électrodynamique quantique » qui devait se révéler ensuite indispensable pour interpréter des expériences concernant de petits nombres de photons. Son stage postdoctoral (1972-1973) a permis au titulaire de la chaire d’apprendre à se servir des lasers accordables qui devaient se révéler des outils indispensables à toutes les expériences qu’il devait effectuer par la suite. Utilisant un laser émettant des impulsions très brèves, il a réalisé à Stanford des expériences de battement quantique qui ont illustré l’importance des concepts de superposition d’états et d’interférence quantique, concepts qui devaient aussi jouer un rôle essentiel dans la physique de manipulation de photons individuels. En permettant de préparer des niveaux atomiques de plus en plus excités, il est apparu clairement que ces lasers ouvraient la voie à l’étude des atomes de Rydberg, thème de recherche auquel le titulaire de la chaire devait se consacrer pendant toute la suite de sa carrière. Ces atomes sont en effet devenus des outils indispensables à l’étude des champs microonde de très faible intensité dans le domaine de l’optique quantique que l’on appelle l’électrodynamique quantique en cavité. La première leçon a ainsi présenté tous les éléments contenant pour ainsi dire en germe la physique qui devait suivre et permettre la manipulation contrôlée de photons piégés.