Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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Sommes-nous de mauvais statisticiens ?

L’idée d’un « cerveau statisticien », présent dès la naissance, conforte la vision de Laplace, selon lequel « la théorie des probabilités […] fait apprécier avec exactitude ce que les esprits justes sentent par une sorte d’instinct, sans qu’ils puissent souvent s’en rendre compte ». Selon cette hypothèse, nous serions tous pourvus d’une intuition de la plausibilité, fondée sur de complexes calculs bayésiens non-conscients. Toutefois, cette perspective s’oppose directement aux travaux d’Amos Tversky et Daniel Kahneman pour qui les humains sont de bien piètres statisticiens. « On s’accorde généralement à penser que les choix rationnels doivent satisfaire des critères élémentaires de cohérence », écrivent-ils dans leur célèbre article de Science (1981) ; « Dans cet article nous décrivons des problèmes de décision dans lesquels les gens violent systématiquement ces critères. »

Étendant notamment le paradoxe d’Allais (1953), Tverky et Kahneman montrent que les jugements humains s’écartent parfois massivement de la théorie du choix rationnel. Ils rendent compte de leurs observations empiriques en proposant une théorie des perspectives (prospect theory), qui s’écarte de l’optimalité bayésienne en plusieurs points : (1) les gains et les pertes ne sont pas absolus, mais rapportés à un cadre de référence (frame) ; (2) les décisions maximisent l’espérance de la valeur subjective ; (3) la fonction de valeur subjective est concave pour les gains, convexe pour les pertes ; (4) la probabilité est pondérée selon une fonction en S inversé qui surestime les petites probabilités et sous-estime les grandes probabilités.