Amphithéâtre Maurice Halbwachs, Site Marcelin Berthelot
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Résumé

Le mot « je » fait partie d’une classe de mots – les indexicaux – dont la valeur sémantique (la « référence ») est fixée par une règle linguistique relativement à un repère variable. Le repère en question est fourni par l'acte d'énonciation, ce que Benveniste appelle l'instance de discours. Les instances de discours, dit Benveniste, ce sont « les actes discrets et chaque fois uniques par lesquels la langue est actualisée en parole par un locuteur ». Ainsi, « Je se réfère à l'acte de discours individuel où il est prononcé, et il en désigne le locuteur. »

Peirce distingue les mots considérés comme types abstraits de leurs occurrences concrètes et singulières. « Occurrence », en anglais, se dit token, et Reichenbach appelle les indexicaux, dont la référence est fixée au niveau de l’occurrence et non au niveau du type, des expressions token-réflexives. Le caractère réflexif de ces expressions vient du fait qu’on ne peut définir ou spécifier ce qu’elles désignent, ce à quoi elles renvoient, que par rapport au mot lui-même, considéré comme occurrence. Que désigne le mot « je » ? Il désigne la personne qui prononce ce mot, la personne qui produit cette occurrence, la personne qui dit « je ». Cette réflexivité est bien exprimée par la formule de Benveniste : Est Ego celui qui dit Ego. La règle d'emploi associée au mot type, règle qu'une définition de « je » cherche à articuler, détermine la référence d'une occurrence quelconque de ce mot en fonction d’une relation de fait à cette occurrence (le fait de produire l’occurrence en question). La règle d’emploi fait donc référence à l'occurrence du mot, au token, ce qui la rend token-réflexive. Comme le dit Benveniste, la première personne est « réflexive de l’instance de discours » parce que les formes de la première personne comme le pronom « je » « renvoient à l'énonciation, chaque fois unique, qui les contient, et réfléchissent ainsi leur propre emploi ». 

On pourrait penser que les indexicaux représentent les entités auxquelles ils font référence sur un mode égocentrique, c’est-à-dire par rapport au sujet. Ainsi « je » ferait référence au sujet lui-même, « ici » au lieu où il se trouve, etc. Dans cet esprit, Husserl parle des « multiples formes du discours dans lesquelles celui qui parle… exprime quelque chose qui est pensé par rapport à lui-même ». Mais Peirce, Reichenbach, et Benveniste, dont les vues se sont imposées, adoptent tous les trois sur les indexicaux une perspective très différente que l'on peut appeler une perspective logocentrique. Selon eux c'est le token, l'instance de discours, qui est le repère implicite relativement auquel la référence d'un indexical est déterminé. « Je » ne désigne pas le sujet lui-même ou « le soi » mais la personne qui prononce cette occurrence du mot « je ». « Ici » ne désigne pas le lieu où je me trouve/le lieu où se trouve le sujet mais le lieu où est prononcée cette occurrence de « ici ».