Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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La première heure du premier cours (6 janvier) a été consacrée à un rappel de la problématique générale et de l’objectif principal du cours : « tracer » la rencontre de la subjecti(vi)té et de l’agence (agency, action) dans l’histoire de la philosophie. On a ainsi revisité dans l’ordre où on les avait exposées les différentes pièces du dossier instruit l’année précédente : chez Nietzsche, tout d’abord, la critique du « syllogisme du grammairien » censé fonder la thèse que toute action a un agent, puis celle de la « superstition des logiciens » : l’articulation des notions de sujet, de je ou de moi ; chez Heidegger ensuite, avec l’interprétation heideggérienne de Descartes et de la « souveraineté du sujet », la distinction entre quiddité (Washeit) et « quissité » (Werheit), réalité (Realität) et réalité effective (Wirklichkeit), dans les Grundprobleme der Phänomenologie – le cours du semestre d’été 1927, donné à Marburg – puis dans le cours fribourgeois de 1934 sur la « logique » et l’histoire de l’être. On a continué en rappelant quelques thèses de Ricœur évoquées en 2013-2014, dont certaines, de frappe heideggérienne, comme la distinction entre question « quoi ? » et question « qui ? », le tout culminant dans la critique ricœurienne de la réduction de la problématique de l’action à une « ontologie de l’événement ano­nyme » opérée dans la philosophie contemporaine. On a pu alors revenir sur le thème central : la relation entre question de l’homme et question du sujet, mise en place l’an dernier à partir de la lecture foucaldienne de l’Alcibiade. Pour ce faire, on a rappelé le sens et la fonction de la distinction entre attribution, ascription et imputation chez Ricœur, Strawson et Scheler, puis, regagnant le terrain de l’histoire de la philosophie d’un point de vue archéologique, on a rappelé quelques-unes des notions et structures mises en place dans le travail sur l’Inventio subiecti : le « quadrangle du sujet pensant » et ses avatars, marqués par l’« allongement du questionnaire » du Moyen Âge à Descartes, en insistant particulièrement sur deux questions époquales : « Y a-t-il un sujet unique de la pensée et de la volonté ? » et « Qui dit je dans « je pense » et dans « je veux » ? On est ainsi arrivé à pied d’œuvre, autrement dit au thème explicite du cours de 2014-2015 : la volonté et l’action.

Le travail a commencé par un retour sur la notion d’usage (khrêsis), formulée et mise en œuvre dans le schème foucaldien du « sujet de la khrêsis ». Après un rappel de Philippiens 2, 13 : c’est Dieu qui opère en l’homme le vouloir et le faire, on a jeté les bases d’une archéologie du « sujet de l’usage », en examinant en détail ce qu’on a appelé la « source syriaque » : la théorie de l’action et de la volonté dans le De fide orthodoxa de Jean de Damas († 749). On a introduit et présenté deux structures ou schèmes conceptuels dans les formulations grecques du Damascène et leurs traductions latines médiévales par Burgundio de Pise (1110-1193) : le « quadrangle de l’agence », articulant action (ἐνέργεια), actif (ἐνεργητικὸν), acté (ἐνέργημα), actant (ὁ ἐνεργῶν), et le « quadrangle du vouloir », articulant en miroir volonté (θέλησις), voulu (θελητόν), volitif (θελητικόν), et voulant (ὁ κεχρημένος τῇ θελήσει). On a ainsi abordé la première formulation des notions de sujet volontaire : « l’usager de volonté », ὁ κεχρημένος τῇ θελήσει, et de sujet de l’action : « l’usager d’action » ou « d’opération », ὁ κεχρημένος τῇ ἐνεργείᾳ, « à savoir l’hypostase » (ἤτοι ἡ ὑπόστασις). On a conclu sur la distinction entre objet du vouloir et sujet du vouloir chez Jean de Damas, autrement dit sur la différence, posée en grec, entre ‘hupokeimenon’ et 'hupostasis’, différence demeurée non reconnue et a fortiori non exploitée comme telle par les historiens de la philosophie, de la psychologie et de l’éthique. On a évoqué cette absence sous deux angles : Heidegger, le « chiasme du sujet » et « l’oubli de l’hypostase », d’une part ; la méconnaissance générale de la relation entre anthropologie et christologie dans l’histoire du sujet, d’autre part – deux thèmes essentiels du cours, vus sur la longue durée.