Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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« Si Degas était mort à 50 ans, disait Renoir, il aurait laissé le souvenir d’un excellent peintre, pas plus. C’est après sa cinquième année que son œuvre explose et qu’il devient vraiment Degas. » Voilà qui ramène encore à la notion de sublimité sénile et de style tardif. Qu’entend-on par de tels vocables ? Beaucoup d’objections s’imposent également : ces artistes n’étaient-ils pas déjà sublimes avant d’être séniles ? Peut-on donc être plus ou moins sublime ? Est-ce quantifiable ? Peut-être est-ce une illusion de percevoir un caractère testamentaire dans les dernières œuvres, car il y a un mythe de l’œuvre finale.

Dès l’Antiquité, deux visions du grand âge s’opposent : senectus désigne la belle vieillesse lucide ; decrepitas est la faiblesse du corps et de l’esprit, sorte de retour à l’enfance. Senectus est un âge d’or, décrit dans la République de Platon lors du dialogue entre Socrate et Céphale. Le point de vue est gérontophile, optimiste. Il est reconduit aujourd’hui, après des siècles de gérontophobie.

On le retrouve par exemple dans l’avant-garde critique, notamment américaine. L’apogée artistique est atteinte quand l’artiste domine enfin son medium, sa matière. Eve Kosofsky Sedgwick se dit attirée par la notion de « sublime sénile » dans les productions de personnes âgées, œuvres qui n’ont plus les mollesses de l’adolescence. L’étape de la maturité disparaît : on accède ainsi à l’essentialité de la vieillesse. Qui ne trouverait séduisante l’idée de percer sous la forme d’un sublime sénile ? demande la critique. La vieillesse libère de ces trois contraintes : plaire, être de son temps, et être cohérent ; les œuvres s’affranchissent du decorum, du decet. L’œuvre tardive est rude, antimoderne. Ce sublime tardif correspond au late style d’Edward Said, au Spätstil de Theodor Adorno.