Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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La Révolution scientifique a souvent été présentée comme le moment d’invention d’un naturalisme occidental. Il fut, selon l’ambition de Francis Bacon, à l’orée du XVIIe siècle, une « histoire de la nature contrainte et vexée » opposée à une « nature déliée et libre ». Le naturalisme issu du vaste mouvement de refondation des savoirs scientifiques à l’époque moderne a ainsi été décrit dans les termes d’une pratique d’objectivation, de séparation de la nature et de l’artifice, de mise en ordre, de contrôle, de maîtrise d’une nature jugée dangereuse, par le travail inlassable de classification, de catégorisation, d’ingénierie. À la théorie des ordres sociaux, les naturalistes auraient répondu par la mise en ordre de la nature, par la défense de son unité. La thèse soutenue par Bachelard en 1938 était tout entière contenue dans ces deux formules : « l’esprit scientifique doit se former contre la Nature » et « l’esprit scientifique doit se former en se réformant ». Dès 1948, Lucien Febvre proposait pourtant une autre voie. Il répondait ainsi à la critique qu’Alexandre Koyré avait adressée à son Rabelais en soulignant l’importance de ces contre-cultures des sciences et incitait les historiens des sciences à complexifier leurs récits.

Les recherches menées en histoire des sciences depuis une trentaine d’années sont allées dans ce sens et ont déplacé le cadre d’analyse en recontextualisant les pratiques naturalistes des XVIIe et XVIIIe siècles. Elles l’ont fait en montrant qu’il fallait sans doute à la fois pluraliser les cultures naturalistes des Modernes en signalant les tensions entre différentes conceptions de la nature (au-delà des oppositions classiques entre plénisme et atomisme, mécanisme et vitalisme, etc.), et en montrant les effets d’une nouvelle instrumentation et des techniques intellectuelles qui équipent cette « révolution scientifique » – le microscope et les automates ouvrent de nouvelles réflexions sur les principes du vivant. Ces recherches ont conduit à une réévaluation des savoirs empiriques (observation, description, collection), ainsi qu’à une meilleure compréhension des dispositifs mis en œuvre aux côtés de la mesure et de la quantification pour produire les régularités de la nature. Elles ont montré aussi l’insistance, sinon l’obsession, pour le visible et les représentations visuelles à la fois pour enregistrer, comparer et objectiver et rappeler l’importance encore vive des enjeux esthétiques dans la démarche de classification.

Intervenants

Stéphane Van Damme

Institut universitaire européen de Florence