Amphithéâtre Maurice Halbwachs, Site Marcelin Berthelot
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Résumé

Les passages où l’auctoritas est attribuée aux juristes sont au nombre d’une trentaine dans les sources latines, à partir de Cicéron : il s’agit donc d’une association familière aux Romains. Mais quelle en était la signification ? Se référer, afin de la saisir, à l’une des nombreuses théories modernes sur la notion d’autorité, comme celle d’Alexandre Kojève, ne ferait que gauchir le sens ancien. L’étymologie d’auctoritas (de augere, au sens de « faire naître ») amena É. Benveniste à la définir comme « ce don réservé à peu d’hommes de faire surgir quelque chose et – à la lettre – de produire à l’existence ». Mais l’étymologie risque d’offrir trop de suggestions et peu de bornes. Il faut aussi éviter d’isoler les occurrences d’auctoritas concernant les jurisconsultes du reste des occurrences, également très fréquentes, où cette qualité est pareillement attribuée à d’autres « intellectuels » (philosophes, historiens, orateurs, poètes, grammairiens). Il apparaît ainsi que – dans la plupart des passages concernés – l’auctoritas des juristes n’est qu’un cas particulier qui s’inscrit dans une théorie rhétorique de l’auctoritas (une théorie d’origine gréco-hellénistique ensuite transposée en latin), qui lui confère un sens assez précis. Cette théorie nous permet de saisir le point de vue des Anciens et nous aide aussi à dresser une phénoménologie articulée de l’auctoritas des juristes. Pour resserrer l’enquête, il faut se référer à la théorie rhétorique développée par Cicéron, dans le cadre de la preuve par témoins (Top., 73). Il classifie les éléments qui font l’auctoritas en distinguant les éléments intrinsèques et permanents (natura) et les éléments extrinsèques et transitoires (tempus), avant de prendre en compte une deuxième distinction, fondée sur la virtus (ou le manque de virtus). Le cas des experts, pourvus d’un savoir technique (ars, scientia) ou d’un savoir-faire (usus), dépend d’un élément extrinsèque et n’est pas fondé sur la virtus. Mais dans le périmètre de leur savoir, ils jouissent d’une réputation de fiabilité auprès du public. C’est le cas également des juristes, dans leur domaine. L’auctoritas des juristes est donc, dans cette perspective, leur aptitude à persuader ; c’est une valeur dynamique qui souligne le poids relatif des opinions des juristes face aux discussions des orateurs dans un procès.

À partir de ces prémisses, le cours a proposé une esquisse de cette théorie rhétorique, en distinguant le versant externe (extra-systémique) de l’auctoritas des juristes (c’est-à-dire dans le procès, où elle désigne la capacité de leurs réponses à persuader le juge) par rapport au versant intra-systémique (dans le dialogue entre les juristes eux-mêmes) et en séparant également la dimension individuelle de l’auctoritas (du juriste particulier) de sa dimension collective (des juristes en tant qu’ensemble). Cette démarche semble souhaitable afin de ne pas surinterpréter du point de vue idéologique l’auctoritas des juristes et aussi de mieux expliquer les multiples facettes de l’argument ex auctoritate (qui n’est qu’un aspect de cette thématisation rhétorique de l’autorité).