Amphithéâtre Maurice Halbwachs, Site Marcelin Berthelot
En libre accès, dans la limite des places disponibles
-

Dans la conception « descriptiviste » inspirée de Frege, le sujet doit, pour arriver à faire référence à un objet, détenir une description identifiante de cet objet, ou un ensemble d’informations (un dossier mental) globalement identifiant. Toutefois, il semble qu’on puisse faire référence à des objets quand bien même on ne possède pas de description identifiante permettant de les singulariser. La conception descriptiviste implique aussi que les informations en notre possession doivent être correctes pour qu’on puisse faire référence à un objet. Mais ne pourrait-on pas découvrir que ce qu’on croit d’un individu donné auquel on fait référence par un nom propre est très largement erroné ? Ne pourrait-on pas découvrir, par exemple, que Moïse n’a rien fait de ce que lui attribue la Bible  ?

Un autre type d’objection concerne les cas où l’on fait référence non pas au moyen de noms propres, mais au moyen de pronoms ou de démonstratifs. Nous avons vu que les modes de présentation sont différents quand le sujet pense J’ai le pantalon qui brûle et quand il pense Il (ou : ce type) a le pantalon qui brûle. Or Castañeda, Perry et les théoriciens de « l’indexical essentiel » ont établi que le mode de présentation correspondant à un indexical comme je ne peut pas être une description, dans la mesure où pour toute description objective Le F, le sujet n’est pas forcé de se rendre compte qu’il est lui-même le F.

Dans la conception de remplacement mise en place par les critiques du descriptivisme, ce qui fixe la référence d’un nom propre c’est le fait que ce nom a été transmis au long d’une chaîne historique de communication qui démarre avec l'assignation du nom à l’objet lui-même (le « baptême initial », comme dit Kripke). Le sujet se trouve ainsi relié à l’objet à travers le nom qu’il utilise et la chaîne de communication à laquelle le nom appartient. Dans le cas des indexicaux aussi une relation est en jeu, et c’est elle qui fixe la référence. Ici fait référence au lieu où se trouve le sujet, et non au lieu qui satisfait une description objective du lieu en question dans l’esprit du sujet. Je fait référence à la personne que le sujet est effectivement, et non à la personne qu'il croit être. Dans les deux cas, nous pouvons conserver l’idée que le mode de présentation est un « dossier mental », à condition d’abandonner l’idée que la référence d’un dossier mental est l’objet qui possède les propriétés répertoriées dans le dossier. Ces propriétés correspondent à ce que le sujet croit du référent, mais le sujet peut se tromper, et par conséquent il est essentiel que ce ne soient pas les propriétés en question qui déterminent la référence. Ce qui détermine la référence, ce sont les relations (dites « épistémiquement gratifiantes ») que les dossiers exploitent et qui servent de canal informationnel au sens où les informations obtenues par le truchement de ces relations viennent nourrir le dossier.