Présentation de la chaire

La leçon inaugurale prononcée le 30 janvier 1976 marque un changement de paradigme et une évolution notable de la discipline vers l’anthropologie. Dagron avoue, à mesure que la connaissance progresse sur le monde byzantin, sa difficulté à définir en quoi consiste « Byzance » et sa tentation d’élargir les recherches au-delà des limites traditionnelles de l’empire, au-delà des sources en langue grecque. Partant du double constat d’une disparition (en 1453) et pourtant d’une présence incontournable de l’Empire byzantin dans la définition de certaines identités nationales (Russie, pays balkaniques ou Grèce), Dagron propose une nouvelle approche et de nouveaux outils. Pour cela, il emprunte à la sociologie de Georges Dumézil en s’appropriant le champ des « idées » :  à force de problématiques, voire de schémas dialectiques, Dagron souhaite s’élever au niveau des fonctions (d’un rituel), d’une logique (de comportements), d’une structure (d’un système politique) ou encore des présupposés (d’une classification sociale).

Dagron identifie ainsi plusieurs systèmes originaux de représentation dans l’histoire millénaire de Byzance, soit autant de pierres de touche à des études transversales renouvelées. En premier lieu, Dagron montre que Constantinople instaure un des premiers systèmes de relations internationales en revendiquant deux histoires (Nouvelle Rome et Nouvelle Jérusalem) héritées du monde romain, et impose cette vision à ses voisins : bipolarité Rome versus Constantinople et légitimité unique de la dignité impériale ; un des sujets de prédilection de l’auteur reste en effet la capitale, accompagnant sa thèse soutenue en 1968 d’un complément sur Constantinople imaginaire en 1984. Cette approche mêlant le réel à la représentation que l’on s’en fait est une démarche innovante de l’auteur qui, dans une recherche d’équivalences entre les concepts, tente d’identifier des parallèles entre l’icône comme trace d’un modèle et de nombreux champs intellectuels byzantins (littérature, architecture, cérémonial, liturgie), nouvelle illustration d’une conception où la forme est d’origine sacrée et source de vérité. Au sujet de la christianisation enfin, Dagron relève que le christianisme passe de l’exception à la règle entre le Ve siècle et la fin de l’iconoclasme, bousculant l’organisation antique et devenant à son tour ferment de tradition, voire constitutif d’une civilisation rivée à ses particularismes, à une profondeur telle que les efforts d’union des Églises à partir du XIIIe siècle ne parviennent pas à atteindre.

En définitive, si Dagron se défend de chercher un « homme byzantin » qui n’a jamais existé, il apporte sa contribution à l’édifice d’une anthropologie de Byzance à partir d’études thématiques (par exemple la mort, thème de sa première année de cours) qui constituent autant de « coupes stratigraphiques » permettant d’entrapercevoir un monde disparu et si fortement original.

Notice rédigée par Marc Verdure (Collège de France – Institut des Civilisations).