Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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L’idée que la pensée humaine varie selon la langue que nous parlons est fréquemment appelée thèse de Sapir-Whorf. Edward Sapir (1884-1939), anthropologue et linguiste américain, affirmait en effet que « les êtres humains ne vivent pas seulement dans le monde objectif, ni seulement dans le monde des activités sociales telles qu’on les entend d’ordinaire, mais ils sont à la merci de la langue particulière qui est devenue le moyen d’expression dans leur société. » Son élève, le linguiste Benjamin Lee Whorf (1897-1941), prolongeait cette thèse : « le système linguistique (…) de chaque langue n’est pas seulement un instrument de reproduction servant à vocaliser des idées mais il est lui-même formateur d’idées (…). Nous découpons la nature selon les tracés que notre langue a dessinés sur elle. »

Cette thèse séduisante a fait son chemin dans la culture occidentale du XXsiècle. Elle joue notamment un rôle central dans le roman 1984 de George Orwell (1949), dans lequel un dictateur façonne et impose une nouvelle langue, le « Novlangue », dans le but de restreindre la liberté de penser. En éliminant progressivement certains mots du vocabulaire, écrit Orwell, « le climat total de la pensée sera autre. En fait, il n’y aura pas de pensée telle que nous la comprenons maintenant. » La thèse Whorfienne se diffuse également dans le grand public par le biais de légendes urbaines, telles que celle qui voudrait que la langue Eskimo dispose de centaines de mots pour la neige, et que cela constituerait une preuve que le peuple esquimau catégorise le monde de façon idiosyncrasique. Cette idée est un mythe, comme nous l’avons expliqué dans le cours en nous appuyant sur l’article de Pullum (1989).