Samantha Besson est professeure de droit. Ses recherches portent principalement sur le droit international et européen. Depuis 2019, elle est professeure titulaire de la chaire Droit international des institutions au Collège de France.
Cette chaire renoue avec une longue tradition d’enseignement et de recherche en droit international au Collège de France. Elle lui insuffle une direction à la fois plus spécifique, en mettant l’accent sur l’étude de la dimension institutionnelle du droit international, et plus régionale puisqu’elle comprend l’étude du droit international des organisations européennes que sont l’Union européenne et le Conseil de l’Europe, mais aussi des organisations internationales d’autres régions du monde.
Une chaire de droit international du Collège de France est pour la première
Samantha Besson
Il n’en demeure pas moins que, pour diverses raisons, le droit international n’a pas toujours été pensé en termes institutionnels ou pas suffisamment. C’est le cas de l’État lui-même, bien sûr. Le droit international de l’État souffre de nombreuses lacunes que révèlent, par exemple, l’étendue de la privatisation des droits et prérogatives des États, mais aussi l’indétermination résiduelle du contenu institutionnel du droit à l’autodétermination des peuples. La part institutionnelle manquante du droit international est encore plus évidente en droit des organisations internationales. Hormis certaines exceptions, l’existence d’un statut de droit international public commun à ces différentes organisations fait encore largement défaut. Il n’est dès lors pas surprenant que l’on doute de la capacité de nombre d’entre elles de se conformer au principe de l’État de droit.

Entre la pandémie de Covid-19, marquée par de nombreux reproches contre l’Organisation mondiale de la santé (OMS)
Avant tout, il est important de préciser que ces différentes réalités institutionnelles ont des causes très différentes. Toutefois, il est vrai aussi que ce déferlement de critiques à leur encontre révèle bien quelque chose de commun
Comment, en effet, attendre d’une organisation comme l’OMS, dont la dimension politique est depuis toujours refoulée au profit de l’expertise technoscientifique, y compris privée, qu’elle puisse adopter une politique légitime de santé publique internationale et jeter les bases d’un droit international de la santé dont l’autorité soit respectée
Ce que d’aucuns ont appelé la «

Pourquoi a-t-on le sentiment qu’il faut attendre des crises pour se poser des questions essentielles sur le fonctionnement des institutions
On peut le regretter, c’est vrai. Toutefois, les grands moments institutionnels, qu’on appelle aussi parfois des «
Sur le plan international, les grands bouleversements dont sont issues les institutions internationales contemporaines auront été les conflits armés régionaux, puis mondiaux, mais aussi les graves crises économiques et sociales de la première
N’était-il pas possible d’anticiper ces difficultés
C’est certain. En l’occurrence, de nombreux internationalistes (y compris au Collège de France, bien sûr) ont identifié depuis longtemps tout ou partie de ces carences institutionnelles. Pour autant, entre l’analyse critique et les propositions de réforme des juristes et la réaction politique tant interne qu’internationale, il y a toujours un temps. Surtout lorsque l’enjeu est de cette ampleur : jamais l’ordre institutionnel international n’avait réuni autant de peuples et surtout de peuples en principe institués comme des États égaux en droit international. La complexité de l’enjeu est, elle aussi, sans précédent
En vue d’une reconstruction, existe-t-il une institution idéale pour servir de modèle
La première erreur, et une erreur à ne plus commettre, est précisément de considérer que chaque nouveau problème commun aux peuples et États peut et doit recevoir une réponse institutionnelle unique, sous la forme d’une nouvelle organisation internationale dont la fonction serait de répondre à ce problème. La «
En réalité, il est possible de faire de la nécessité de composer avec le paysage institutionnel international existant une vertu. La multiplicité des institutions internationales contemporaines, qu’elles soient publiques comme les États, les organisations internationales, les régions ou les villes, ou privées comme les ONG ou les entreprises multinationales, peut et doit aussi être abordée comme un levier démocratique. Pour autant toutefois que l’on comprenne que ces institutions réinstituent, à de multiples reprises, les mêmes peuples et que l’on organise cette chaîne de représentation nationale, régionale et universelle. C’est le sens de l’argument de théorie politique non idéale que j’ai développé, avec mon collègue José Luis Martí, en faveur d’un «
Pour revenir à la question de la reconstruction de l’ordre institutionnel international, nous serions donc bien avisés de mieux identifier et comprendre les forces et faiblesses de l’ordre institutionnel international contemporain avant d’en proposer des réformes. Ces propositions de réforme devraient procéder d’abord de l’intérieur, puis de l’extérieur pour le cas où la réforme ne peut se faire sans révolution et donc sans refonder entièrement l’organisation, comme cela a été le cas de la Société des Nations lors de la création des Nations unies. Bien sûr, il ne faut pas exclure que de nouvelles formes institutionnelles internationales se développent pour une meilleure représentation internationale des peuples, et ce en parallèle des multiples institutions publiques et privées actuelles, voire en remplacement de celles-ci. Par exemple, j’ai exposé dans mes travaux quelles pourraient être les vertus républicaines de non-domination d’une meilleure association des villes aux procédures d’adoption du droit international, mais aussi des régions.

Si la reconstruction apparaît indispensable, les États ne donnent pas l’impression de réagir. Pour quelles raisons
Cela dépend des États, car de nouvelles alliances et majorités d’États du Sud et de l’Est sont apparues depuis quelque temps. À l’inverse, vous avez cependant certainement à l’esprit les quelques États dont la position dominante au sein du système onusien, mais aussi du paysage mondial des organisations régionales, a été entérinée juridiquement comme telle. Ou alors les nouvelles puissances qui invoquent ou se saisissent des mêmes privilèges
Si l’initiative de reconstruction ne vient pas des États, d’où peut-elle venir
Comme toujours, des peuples –

Propos recueillis par Romain Cayrey