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Ayman Yusuf

© Licence Unsplash

Colloque coorganisé avec le CAREP (Centre arabe de recherche et d'études politiques de Paris).

Depuis la fin du XVIIIe siècle, si on prend en compte le voyage en Égypte et en Syrie de Volney, les sciences humaines et sociales (SHS) en Occident s’intéressent au monde arabe. On trouve différentes approches que l’on peut définir soit comme une vérification sur le terrain d’hypothèses théoriques, soit au contraire la formulation d’hypothèses théoriques à partir de l’enquête de terrain. Ces approches comportent chacune des risques : plaquer des réalités autres sur ces sociétés d’une part, adopter sans perspective critique le discours de ces sociétés sur elles-mêmes d’autre part. Ces biais ont notamment pu être contournés par le développement d’approches comparatistes entre plusieurs sociétés, y compris européennes.

Les révolutions arabes de 2011 ont conduit à une réévaluation de ces différentes approches dans la mesure même où elles n’ont pas permis une prédiction de ces mouvements et n’ont pu en donner une intelligibilité immédiate (Bennani-Chraïbi et Fillieule, 2012).

Par ailleurs, peu de chercheurs européens se sont penchés sur l’impact de ces soulèvements pour les SHS arabes (Catusse, Signoles et Siino, 2015). En revanche, du côté des acteurs concernés, les soulèvements de 2011 ont fait émerger des analyses ancrées dans les réalités du terrain et redonné la voix aux chercheurs arabes dans la production de récits sur leurs propres sociétés (Bayat, 2021).

Dans ce contexte, penser les SHS dans les mondes arabes c’est d’abord penser les transferts de compétences entre un savoir né en Occident et sa production sur le terrain. S’y ajoute la difficile question des rapports entre les régimes autoritaires et la production du savoir. D’autant que parallèlement l’Etat est lui-même devenu producteur d’informations statistiques indispensables pour sa gestion et a eu besoin d’interprétations de ces données. Les SHS arabes se sont donc trouvées prises en étau entre les modèles théoriques largement empruntés à l’extérieur (qui diffèrent d’ailleurs selon leurs milieux de provenance) et les contrôles étatiques cherchant à limiter le rôle des SHS à une simple exploitation technique et politique des données statistiques.

Peut-on alors parler de « SHS arabes » comme étant une entité à part entière ? En effet, la production des idées et des savoirs en SHS dans les pays arabes est très variable d’un pays à l’autre. Ainsi, dans les pays du Golfe, l’héritage anglo-saxon est très marqué, tandis qu’il emprunte plutôt à la conception française des SHS dans les pays du Maghreb (El Kenz, 2006). Il en résulte un paysage de recherche fragmenté, non seulement déconnecté des préoccupations sociétales, mais aussi de l'université, lieu emblématique de production du savoir en SHS. D’autres lieux de production des connaissances moins liés aux instances étatiques, tels que des think tanks ou des associations savantes, se sont imposés dans le paysage depuis au moins deux décennies. Ainsi, au Machrek les bailleurs de fonds privés jouent un rôle majeur dans le financement des SHS, favorisant l’émergence des consultants-experts plutôt que le développement d’une recherche fondamentale.

Bibliographie indicative 

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