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Le mot-clé des conférences que j’ai données au Collège de France en juin 2014 est une notion qui hante les intellectuels japonais depuis le milieu du XIXe siècle, et continue de les hanter aujourd’hui : celle d’individu. Ce choix me paraît d’autant plus opportun et nécessaire que, d’une part, la société japonaise est en train de se défaire de l’obsession du manque d’individus, et que, d’autre part, aux yeux du constitutionnaliste que je suis, la notion d’individu se rapporte au sort de la démocratie, entendue non pas seulement comme une façon de décider au nom du demos, mais surtout comme une civilisation devant gérer la res publica tout en respectant la valeur et la dignité de l’individu. La relation entre la modernisation et la démocratie ainsi définie – ce que j’appellerais le constitutionnalisme -, est une des problématiques cruciales de notre temps.

L’enjeu ne se limite pas à l’archipel de l’Extrême-Orient, car la croyance en l’individu, également liée à la philosophie universaliste des Lumières, semble largement périmée dans les milieux intellectuels d’Occident, qui tendent à réclamer la fin de la modernité. C’est pourquoi, lors de ma participation au Congrès mondial du bicentenaire de la Révolution française, j’ai osé donner le sous-titre suivant à mon exposé : « La signification profonde de 1789 pour le développement du constitutionnalisme d’origine occidentale dans le monde ». C’est dans ce contexte que le grand historien Maurice Agulhon m’a répondu, lors de la conclusion qu’il a donnée au Congrès : « Voilà qui est bien digne d’encourager les Français, ceux du moins qui sont restés amis du Droit et de la Liberté… ». Mais en dehors de l’Occident, la situation n’est pas simple non plus, car il ne s’agit pas seulement de ceux qui accusent l’impérialisme culturel de l’Occident. Quelle place le Japon prenait-il, et prend-il aujourd’hui, dans ce tableau de chassé-croisé ? Quelle est la position géoculturelle de l’archipel de l’Extrême-Orient ? C’est à cette interrogation que j’ai essayé de répondre.