Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
En libre accès, dans la limite des places disponibles
-

Le troisième cours a prolongé l’examen des partis pris qui ont alimenté le débat sur la question de l’écriture de vie depuis les années quatre-vingt. Malgré les critiques et les préjugés formulés contre elle, certains écrivains ont œuvré à sarelégitimation, en usant de différentes tactiques de contournement dont on a retenu trois exemples, présentés à rebours de la chronologie.

L’entreprise autobiographico-romanesque d’Alain Robbe-Grillet dans Le Miroir qui revient (1983) fournit l’exemple d’une reconversion du Nouveau Roman à la littérature personnelle – de même que L’Amant (1984) et La Douleur (1985) de Marguerite Duras, ou encore Enfance (1983) de Nathalie Sarraute, dont le prologue répond aux griefs adressés par ses contemporains à la littérature personnelle. Cette tendance des nouveaux romanciers, qui s’affirme au cours des années quatre-vingt, au retour à l’écriture de vie empreint d’un discours d’autojustification, sonne comme un renoncement, une régression vers une forme de littérature que le Nouveau Roman disait dépassée. La démarche de Robbe-Grillet, dont le projet autobiographique remonte à 1976 mais n’aboutit qu’en 1983, à une époque où les interdits pesant sur l’écriture de vie commencent à s’atténuer, illustre bien les contradictions qui accompagnent cette évolution des nouveaux romanciers vers l’autobiographie. L’autojustification qu’il entreprend dans Le Miroir qui revient vise à présenter l’ouvrage dans une continuité par rapport à ses romans des années cinquante et soixante qu’il intègre après coup à son entreprise d’écriture personnelle, leur donnant alors une dimension subversive, en rupture avec les dogmes posés par le Nouveau Roman. Cette contradiction, cette distorsion des faits, somme toute plus chronologique que logique, lui permet ainsi de transgresser hardiment les interdits de l’époque précédente en reprenant à son compte les poncifs d’une écriture qui affirme sa croyance en la représentation, prenant plaisir à renouer avec la forme traditionnelle du récit autobiographique, sans toutefois se montrer dupe de ses « facilités » – selon les préjugés émis contre la littérature personnelle, abondante et sans effort. Si Robbe-Grillet adopte la forme autobiographique, c’est pour mieux en dénoncer les clichés et l’inadéquation d’une forme narrative dont le cadre, par la sélection et la simplification des détails prélevés au sein du fourmillement de la vie, échoue à en rendre l’épaisseur. Les contraintes imposées par le modèle du récit linéaire, causal et déterministe constituent selon lui une « pesanteur idéologique », qui donne au récit de vie une dimension historique quasi exemplaire. D’un côté le modèle romanesque, de l’autre celui du récit historique : l’écriture de vie, par son inscription dans le champ littéraire, échoue dans sa visée de saisie authentique de l’existence. Face à cette incapacité de la langue littéraire à dire la vie intérieure sans la transformer en « vie reçue » – comme on parle couramment d’« idée reçue » –, Robbe-Grillet a fait le choix d’assumer la fable, en organisant les dispositifs fictionnels comme autant d’opérateurs de vérité.