Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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L’examen des fins de la littérature nous a conduits d’abord à une réflexion sur la cessation d’activité : quand et comment s’arrête-t-on ? Le chant du cygne est une métaphore de la fin de carrière d’un individu, mais aussi de la fin de tout un art, de la fin de l’art : la littérature moderne est pour Broch un « chant du cygne démesuré ». Simmel et Adorno ont valorisé la notion de style tardif en constituant un canon du sublime sénile avec les dernières œuvres de Rembrandt, Beethoven et Goethe. Le style est tardif s’il opère une rupture d’époque : ces artistes âgés annoncent leurs successeurs. Enfin, Galenson met en évidence une distinction entre artistes conceptualistes et expérimentateurs : il est plus facile de vieillir pour les expérimentateurs, lesquels avancent peu à peu. Certains d’entre eux attendent le dernier moment pour se rebeller contre leur œuvre même : c’est cela le style tardif ou le sublime sénile à proprement parler.

Broch s’est invité dans cette recherche avec La Mort de Virgile. Le contenu thématique de l’œuvre dénonce le langage et la littérature : le chef-d’œuvre conduit au silence. Mais la faillite suggère aussi une renaissance. La fin sublime devient prophétie d’un nouveau cycle. Joyce et Kafka sont porteurs d’une incertitude entre fin finale et recommencement. Leurs œuvres alimentent un nouveau mythe de la littérature sans lequel celle-ci n’existerait plus. Kafka, surtout, a un pressentiment d’une cosmogonie nouvelle. Chez Sartre, la fin consiste à décider d’arrêter, plus exactement à consentir à arrêter, ainsi qu’à rompre avec son œuvre passée. Pour Malraux, les grands styles collectifs suivent le cycle de la vie : ils naissent, se reproduisent puis meurent. Le talent des peintres ne connaît pas la mort. Le style tardif est en la suprême incarnation dans l’effacement de ce que l’on fut dans la maturité. Dans le bouquet de fleurs du tableau « L’infante Marguerite en robe rose » de Velasquez, Malraux devine le dernier Manet.