Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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Résumé

Comment classer une bibliothèque ? Cette question, en apparence triviale, ne se pose pas seulement aux possesseurs de grandes bibliothèques ; elle concerne aussi tous ceux qui ont déjà quelques dizaines de livres. Roberto Calasso, dans Come ordinare una biblioteca, a essayé d’apporter une réponse toute personnelle à cette question. Selon lui, le classement d’une bibliothèque est avant tout une question métaphysique et doit être nécessairement pluriel, car l’ordre idéal n’existe pas (particulièrement, à cause de l’entropie). Dans le classement, la règle d’or – édictée par Aby Warburg – est celle du bon voisin. De ce point de vue, la bibliothèque matérielle a une plus-value par rapport à la bibliothèque électronique, une plus-value liée à l’organisation de la bibliothèque dans l’espace, car cette organisation crée des relations entre les livres.

Cette plus-value relève du savoir et elle est mesurable. Il est possible ainsi de poser les bases d’une théorie de la plus-value des bibliothèques, par analogie de celle de Karl Marx : la plus-value des bibliothèques vient de leur classement ; autrement dit, la bibliothèque est plus que la somme des livres qu’elle contient. Plus exactement, elle contient plus de savoir, plus d’informations que la somme des informations particulières contenues dans chacun de ses livres, car les livres ne sont pas placés au hasard : ils occupent une place particulière à un endroit qui n’est pas interchangeable. Cette plus-value est donc d’ordre mental et informationnel.

Le bon classement aide les lecteurs à trouver le livre qu’ils ne cherchent pas. Non pas par sérendipité. Ni par un hasard heureux. Mais par un effet prévu. La formation de cette plus-value requiert un travail particulier, une énergie que l’on peut quantifier et que l’on peut même modéliser de manière économique et sociale. Classer une bibliothèque demande une énergie considérable. Cette énergie dépensée dans le classement se transforme en ordre, et l’ordre, c’est de l’information. L’entropie étant l’état de désordre de la bibliothèque, nous savons que l’entropie augmente quand un livre sort de la bibliothèque, et encore plus quand il n’est pas remis à sa place. Pour préserver l’ordre et diminuer l’entropie, il faut un apport d’énergie, une énergie mentale pour trouver une place au livre, pour le classer, et une énergie physique, pour le ranger. La bibliothèque est donc consommatrice d’énergie, et cette énergie est celle qui sert à maintenir l’ordre. Il s’agit d’une tâche toujours à refaire, digne d’un Sisyphe, car le désordre menace toujours.