Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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Résumé

Au plus loin de la mémoire proustienne, se tient apparemment la mémoire artificielle, la mémoire architecturale de l’Antiquité puis le théâtre de mémoire de la Renaissance, examinés dans le grand livre de Frances Yates, L’Art de la mémoire (1966). Et pourtant Proust, entouré dans son lit de la montagne de ses carnets et de ses cahiers, cahiers de brouillon et cahiers du manuscrit au net, plus les dactylographies et les épreuves copieusement travaillées, corrigées et amplifiées, ne représente-t-il pas la forme moderne du théâtre de mémoire ? Son magasin témoigne de la prodigieuse mémoire d’un écrivain qui nous donne le sentiment de tout posséder des éléments qu’il déplace dans cet immense palais, entre ses notes de régie qui démontrent sa maîtrise du terrain, et ses cahiers aux noms mémorables (Babouche, Serviette, Fridolin, Dux, Vénusté). Il lui faut toute une mnémotechnie pour se rappeler où les fragments ont été déposés : un vrai trésor, une copia, une base de données, dans laquelle l’écrivain pioche au cours de la rédaction du roman.

Les deux traditions des arts de la mémoire et de la mémoire poétique ont l’air contraires, mais elles convergent. Dans la spatialisation de la mémoire par l’ancienne rhétorique – des images habitent un lieu donné –, comme dans la scène littéraire moderne de la réminiscence depuis la poésie romantique, le lieu joue le rôle de « signe mémoratif », ou de « mémoratif » tout court, suivant l’expression de Rousseau. C’est le lieu qui articule le présent au passé. Pour Rousseau, la musique agit comme mémoratif et détient un pouvoir de réminiscence, mais aussi l’herbier. Or l’herbier est un système de lieux et d’images des plus caractérisés.

Au début de « Combray », les souvenirs se présentent dans l’ordre aléatoire de leur retour à la conscience, mais très bientôt le récit chronologique l’emportera de fait. Entre les deux, l’organisation spatiale de la mémoire, celle des chambres du souvenir, présente encore de fortes analogies avec une architecture de mémoire : « Un homme qui dort, tient en cercle autour de lui le fil des heures, l’ordre des années et des mondes » (I, 5). On est vite passé de l’avènement indéterminé des souvenirs à leur organisation dans les chambres, et du temps à l’espace. La mémoire met en rapport du temps et de l’espace. Ramon Fernandez parlait déjà de la spatialisation du temps et de la mémoire dans l’œuvre de Proust.

Références