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À la fin du siècle dernier, Fritz Scharpf avait diagnostiqué la tension à l’œuvre dans la construction européenne entre, d’une part, l’intégration négative consistant à démanteler les solidarités nationales pour donner libre cours aux libertés économiques ; d’autre part, l’intégration positive consistant à édifier des solidarités européennes assurant à cette construction légitimité politique et cohésion sociale.

Depuis vingt ans, l’expérience a confirmé le bien-fondé de ce diagnostic. Riche de la promesse d’une convergence économique et politique, la création de l’euro a entrainé au contraire une divergence et des tensions entre le nord et le sud de l’Europe, que les plans de sauvetage imposés par la Troïka, en contrepartie d’une certaine solidarité financière, ont attisées plutôt qu’apaisées. L’élargissement de l’Union aux anciens pays communistes, qui devait marquer une véritable réunification politique du continent autour des valeurs proclamées dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, n’est pas parvenu à empêcher l’élection dans plusieurs de ces pays de gouvernements ouvertement hostiles à toute forme de solidarité européenne pour accueillir les réfugiés politiques et les migrants économiques qui affluent en Europe. La multiplication des opting-out, qui permettent à certains pays, dont la Grande-Bretagne, de s’exempter de certaines règles communes, n’a pas empêché cette dernière de décider démocratiquement de se séparer de l’Union européenne. La promesse d’une « égalisation dans le progrès » qui figurait dans le Traité de Rome, puis celle d’une « Europe sociale » qui accompagnait le Traité de Maastricht, n’ont pas empêché le démantèlement progressif du modèle social européen, dont l’avis de décès fut proclamé par M. Mario Draghi dès sa nomination à la tête de la BCE en 2012. 

Face à la crise de légitimité partout visible des institutions européennes, la Commission a tenté, aussitôt après le référendum décidant du Brexit, de réactiver l’idée d’un « socle européen de droit sociaux », avant de proposer dans son « Livre blanc sur l’avenir de l’Europe » (mars 2017) plusieurs scenarios pour l’avenir de celle-ci, allant de l’abandon des normes sociales communes (scenario 4) à une coopération beaucoup plus poussée en matière budgétaire, sociale et fiscale (scenario 5).

Comme l’ont notamment montré des travaux antérieurement conduits au Collège de France, la prophétie néolibérale d’un effacement des solidarités humaines dans l’ordre catallactique d’une Grande société globalisée, se trouve démentie par les faits. Les solidarités ne disparaissent pas, mais elles se déplacent, en sorte que l’affaiblissement de l’État social combiné au manque de solidarité sociale européenne ou internationale suscite le retour à des solidarités de type nationaliste, ethnique ou religieux. La globalisation va aussi de pair avec l’émergence de risques systémiques qui ont considérablement renforcé des interdépendances bancaires et financières mais aussi écologiques.

Pour aborder de façon critique et réfléchie les scenarios imaginés par la Commission européenne, il est essentiel de tenir compte de la diversité des représentations de la crise européenne dans ses États membres. L’une des faiblesses les plus évidentes de l’Union est en effet de ne donner lieu à aucun débat public européen mais à la juxtaposition de débats nationaux. Après avoir dressé un bilan des solidarités mises en œuvre à l’échelle européenne dans quelques domaines clés (telles que la question migratoire, les risques financiers, la fiscalité, les services publics ou l’emploi), le colloque aura donc pour objet de faire un état des lieux des débats nationaux sur les institutions européennes et de prendre la mesure du poids relatif dans chaque pays du retour à des solidarités nationales et de l’appel à des solidarités européennes renforcées. Enfin, il serait l’occasion de confronter quelques-uns des projets de sortie de crise avancés dans certains pays.

Enfin, ce colloque a été l’occasion pour un certain nombre de ses contributeurs de s’accorder sur un texte commun sur la nécessaire refondation démocratique des institutions de l’Union européenne. Cette tribune avait pour objectif d’engager la discussion sur la crise profonde des institutions de l’Union européenne et sur les moyens d’y faire face. Elle a été publiée en Allemagne dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung, en France dans Le Monde, au Portugal dans Il Publico, en Grèce dans Ta NEA, en Pologne dans la Rzeczpospolita, en néerlandais sur le blog Doxaludo, en Espagne dans El País, et en anglais sur le site Open Democracy.

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