Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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Résumé

Dans La Prisonnière, l’exemple frappant de construction de bas en haut donné par le narrateur est l’air du « chalumeau du pâtre » de Tristan und Isolde. Suivant Proust, Wagner « tir[a] de ses tiroirs un morceau délicieux pour le faire entrer comme thème rétrospectivement nécessaire dans une œuvre à laquelle il ne songeait pas au moment où il l’avait composée, puis ayant composé un premier opéra mythologique, puis un second, puis d’autres encore, et s’apercevant tout à coup qu’il venait de faire une Tétralogie » (III, 666). Sans l’opéra de Wagner (III, 1), le chalumeau du pâtre prévient Tristan à l’agonie de l’arrivée du navire d’Yseult.

Le narrateur joue la sonate de Vinteuil au piano ; une mesure le frappe ; il y retrouve Tristan. Suit la digression sur les grandes œuvres du XIXe siècle, manquées, car leur unité fut rétrospective, non préconçue, mais « merveilleusement incomplètes », car plus organiques de ce fait. Exemple ou preuve de cette unité rétrospective et organique, « tel morceau composé à part, né d’une inspiration, non exigé par le développement artificiel d’une thèse, et qui vient s’intégrer au reste » (III, 667).

Cette mélopée, un célèbre solo de cor anglais, fut inspirée à Wagner par un chant de gondolier vénitien : « Les sensations que j’éprouvai là furent caractéristiques et ne s’effacèrent point de tout mon séjour à Venise, elles sont demeurées en moi jusqu’à l’achèvement du deuxième acte de Tristan et peut-être m’ont-elles suggéré les sons plaintifs et traînants du chalumeau, au commencement du troisième acte [1]. » Il s’agissait déjà d’un épisode de mémoire chez Wagner, mais non pas tout à fait d’un air retrouvé dans un tiroir. Pour celui-ci, Proust pense à l’« Enchantement du Vendredi-Saint » de Parsifal, qu’il mentionne souvent, par exemple dans le Contre Sainte-Beuve, à propos de Balzac et déjà à propos de l’unité après coup de La Comédie humaine : « L’Enchantement du Vendredi-Saint est un morceau que Wagner écrivit avant de penser à faire Parsifal et qu’il a introduit ensuite. Mais les ajoutages, ces beautés rapportées, les rapports nouveaux aperçus brusquement par le génie entre les parties séparées de son œuvre qui se rejoignent, vivent et ne pourraient plus se séparer, ne sont-ce pas là de ses plus belles intuitions ? » (CSB, 274). Cette idée – d’ailleurs fausse – sur la genèse de Parsifal provient du livre très répandu d’Albert Lavignac, Voyage artistique à Bayreuth (1897).

Références